lundi 25 janvier 2021

Chronique de Charles : Il n'y a que les imbéciles ...

... qui ne changent pas d'avis. La semaine passée, je l'écrivais avec complaisance, je m'étais fait vacciner, dans l'euphorie du moment (un effet secondaire du vaccin probablement), je me suis mis à voir la vie en rose, pas rose minitel porno-érotique 3615 Ulla, pas rose idéalo-socialiste 1981 tout va changer les lendemains vont chanter à qui mieux mieux, non, rose normal, les voyants de la situation sont au vert ou presque, les chiffres sont bons autant qu'ils puissent l'être, on a été bons pour les fêtes de fin d'année, le gouvernement aussi (l'auto-congratulation n'a jamais fait de mal à personne, félicitations dégoulinantes en vrac, tout le monde a été parfait, sauf quelques teuffeurs en Bretagne, à peine de quoi s'offusquer), les mesures prises par lui et notre attitude responsable ont évité l'effet Thanksgiving day d'outre-Atlantique, les hospitalisations sont stables, à un niveau élevé certes, mais stables, la même chose pour les cas diagnostiqués, on déplorait également un nombre de décès Covid en plateau, la routine quoi, le cousin anglais était surtout une curiosité nosologique, pas trop préoccupante de prime abord, à surveiller du coin de l'oeil. Les centres de vaccination se mettaient doucement et gentiment en place, ils allaient monter en puissance progressivement mais sûrement, en tout cas plus vite que précédemment, les stocks de vaccin déjà présents permettaient de voir venir, les promesses de livraisons annonçaient des courbes rassurantes. Même l'organisation logistique pourtant conçue parfaite avait été revue et améliorée par un cabinet spécialisé de consultants américains grassement payés, c'est dire si on n'avait regardé à rien (sauf à s'asseoir sur notre chauvinisme). 
Et puis là, une semaine plus tard, d'un seul coup, c'est comme au casino, fini de jouer, rien ne va plus ! Le variant anglais se propage, pas vraiment une surprise pourtant, on va resserrer énergiquement les boulons et mettre tout le monde d'accord, couvre-feu pour tous à 18 heures, pas de discussions, là où ça n'est pas reparti, ça va le faire incessamment sous peu, on a évité le confinement du week-end d'un poil, on ne parle plus d'ouvrir quoi que ce soit, la restauration et la culture ne protestent même plus, les stations de sports d'hiver en restent sur le cul (la position est adéquate pour les activités qu'ils proposent, il ne leur reste plus, les pauvres, que la luge et les promenades en traîneaux à chiens), les écoles restent ouvertes, les cantines aussi, mais on a bien senti que ce n'est qu'un sursis. La campagne de tests s'intensifie et va prendre un nouvel essor en milieu scolaire (pas chez les décrocheurs qui sont déjà partis, et que ça ne va pas inciter à revenir), on est les champions du monde des tests, et on tient à garder le titre. Apparemment, les tests ne manquent pas, il y en a à profusion. 
La campagne de vaccinations a démarré sérieusement, je le croyais vraiment. Un démarrage foudroyant, en fanfare, avec tambours et trompettes : vous allez voir ce que vous allez voir, on n'a pas vu grand'chose en réalité. Les petits vieux impétueux impatients qui ont appelé le numéro vert qui va bien ou qui ont tenté de se brancher sur le site de prise de rendez- vous en ont été pour leurs frais. Standard bloqué, site saturé, on n'a pas dû prévoir assez grand ; du coup, le démarrage du 14 est reporté au 18, mais quatre jours de retard, ce n'est pas grave du tout, on nous a expliqué que c'était un marathon, pas un sprint, bientôt on va nous dire que c'est une valse lente, pas un rock endiablé, et perdre quelques jours de plus n'est pas un vrai problème. Il y a même des endroits où tu as pu prendre date, mais on t'a rappelé depuis pour annuler parce que tout n'était pas au point, ou parce que les vaccins n'étaient pas arrivés.
Apparemment, le dispositif savamment élaboré présente quelques défauts. Il ne fallait pourtant pas être grand clerc pour se rendre compte que l'engouement des premières heures ferait sauter les standards. Il y a des gens qui considèrent comme un triomphe le fait de réussir à bloquer un centrale d'appels téléphonique ou à mettre à genoux un centre informatique. Ils confondent avec le Téléthon, ou l'élection de Miss France, ils se prennent pour des animateurs radio ou TV, faire sauter les plombs équivaut pour eux à un réel succès d'audience, l'Audimat au plafond, c'est le bonheur, la preuve de leur compétence. En attendant, le petit vieux trépignant d'impatience à qui le robot conseille de renouveler son appel avant de raccrocher la trouve un peu saumâtre, il s'affole aussi sur sa souris réticente qui ne veut plus lui obéir, bloquée qu'elle est dans le calendrier du site saturé de rendez vous en ligne qui ne veut plus lui proposer de cases, il va même parfois jusqu'à proférer quelques obscénités qui soulagent un peu mais ne consolent pas. Peut-être aurait-on pu anticiper et prévoir d'éviter cette affluence, de canaliser les appels au prix de quelques critères bien choisis, mais je n'ai pas de conseil à donner, je n'y connais rien en organisation logistique (encore moins si elle est américaine). 
Les vaccins sont là. Enfin, je dis ils sont là, mais je ne sais pas où. En tout cas il y a des élus locaux qui en redemandent, ils ont organisé des vaccinodromes qui, à leurs dires, seraient capables de « traiter » un nombre important de sujets par jour, ils montrent des barnums aménagés, des salles de sport vides, il ne leur manque que les vaccins, la distribution en a pourtant été répartie équitablement sur le territoire, en tout cas cette équité n'a pas plu à tous (ou alors elle n'a pas été bien comprise). Ils veulent plus de vaccins que leur quota, ils suggèrent à voix basse que les stocks ne seraient pas ce qu'ils devraient être. C'est tout juste s'ils n'insinuent pas qu'on est en train de nous refaire le coup des masques inutiles parce que manquants (moi, je ne suis pas spécialement naïf, mais si on m'explique que le vaccin n'est plus nécessaire, je me méfie aussi sec, je ne vais pas me faire couillonner deux fois de suite ! Remarque, le masque soit disant inutile est devenu obligatoire, le vaccin risque de prendre le même chemin : gardez bien votre certificat de vaccination quand vous l'aurez !). 
La-dessus, tombe l'information apparemment sérieuse que l'usine belge qui nous fournit le précieux produit va prendre quatre semaines de retard dans ses livraisons, quatre semaines pour modifier à la hausse ses capacités de production. Moi je ne comprend pas tout, commencer par freiner pour aboutir à une accélération, ça dépasse mon entendement, ça me déconcerte un peu, mais je n'ai pas assez de notions de productique pour intégrer convenablement le concept. Pas grave, le retard annoncé est passé brutalement de quatre grandes semaines à une toute petite (probablement une erreur de retenue dans une addition, qu'ils vérifient leurs calculs, si ça se trouve, il y a peut-être encore des erreurs, ils vont s'apercevoir qu'ils produisent trop vite, ils vont pouvoir ralentir les cadences !). 
On a vu naguère un reportage sur une usine en Eure et Loir (cocorico) qui s'apprêtait à produire le vaccin, on n'entend plus parler de rien, peut-être qu'elle est aussi en pleine phase de freinage pour accélération, comme l'usine belge, peut-être que c'est du vaccin pour les chinois, va savoir ?).
Incidemment, j'ai pu contacter des volontaires qui ont réussi à décrocher des dates, j'attends de voir ce qu'il en est vraiment, j'espère vraiment que ces rendez-vous seront honorés, pour l'instant je suis encore sceptique. On nous informe trop précisément des quantités de doses présentes ou à venir, on nous énumère trop les chiffres de sujets vaccinés, les prévisions énoncées ne collent pas vraiment, leurs incohérences me troublent. Je ne demande qu'à croire, mais une une petite certitude de temps en temps me rassérénerait. 
Et puis voilà que le Premier Ministre en personne passe par surprise à la télé dans une émission genre people, avec son masque et sans lunettes, mais exceptionnellement (la surprise peut-être, ou l'émotion d'être pris pour une vedette ?) sans se badigeonner les mains au gel hydroalcoolique comme il le fait systématiquement pour son show hebdomadaire, pour nous réexpliquer que tout va bien, qu'il n'y a de rendez-vous que quand il y a vaccin, « c'est calculé pour » disait Fernand (et c'est pour ça qu'il n'y a pas plus de rendez-vous, et que ça sature un peu), pas d'inquiétude donc, les doses sont là, les vieux fragiles des EHPAD sont et restent la cible prioritaire, les vieux pas trop fragiles doivent être un peu patients, ou alors se faire certifier fragiles par leur médecin traitant (rendez-vous par Doctolib quand ça ne sature pas), tout est géré de mains de maître (justement celles qu'il n'a pas enduites de gel cette fois-ci), tout baigne, on évite de parler des stocks de vaccins qu'on a, qu'on aurait, qu'on aura, qu'on attend, qu'on attendra, qu'on espère, en plus un nouveau vaccin va sortir (plutôt aura le droit de sortir), qui sera plus ceci, moins cela, enfin il arrive c'est une bénédiction, on n'en attendait pas tant, en tout cas pas si tôt, bref, en traduit en langage clair, ça s'appelle noyer le poisson. 
Mais pas d'inquiétude, en responsabilité on vous le dit, tout sera fait pour la fin du mois, ça va s'accélérer fortement, ou alors pour fin février, ou alors pour le printemps, peut-être bien pour l'été. De toute façon rien ne presse, le vaccin ne protège que des formes graves de la Covid, et elles ne sont graves que chez les vieux, qu'il faut vacciner en priorité, on va réfléchir et discuter si c'est bien utile de vacciner les jeunes qui ne font souvent que des formes inapparentes (c'est vrai, si tu réfléchis bien, est-ce que c'est bien raisonnable de vacciner des gens pour une affection qui serait sans complications et à peine apparente ? Tout ce tralala pour pas grand'chose en définitive. Tu vois, on y arrive doucement en définitive, on va nous expliquer que le vaccin n'est plus urgent ni même utile. Alors, ne m'agace pas, s'il te plaît, avec tes questions sur les stocks de vaccins équitablement répartis ! 
Là, tu comprends mieux pourquoi mon optimisme de la semaine dernière a fait place à un pessimisme mesuré teinté de circonspection, et aussi d'un peu de suspicion (mais j'ose à peine le dire, je risquerais de passer pour un complotiste). Mon humeur a changé, mon avis sur la question aussi, je suis beaucoup plus critique aujourd'hui, au risque de passer pour une girouette. Mais comme disait Edgar Faure, à qui l'on reprochait d'avoir changé souvent d'avis, et donc d'être une girouette, « ce n'est pas la girouette qui tourne, c'est le vent. »

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