Le Ministre a commencé très fort, avec une séquence nostalgie dans
un amphithéâtre de Bichat, où il a dit avoir fait ses débuts de ministre de la
santé, un truc émouvant à tirer des larmes et à faire pleurer dans les
chaumières, comme je ne suis pas un grand romantique, je n'ai pas pleuré, et
j'ai attendu sans trop d'impatience que ça lui passe. Il a embrayé rapidement
sur la contagiosité du virus, sa propagation rapide, ce n'était pas un scoop,
pour m'occuper, j'ai essayé de m'initier au langage des signes en
m'intéressant aux gestes du mec qui fait du sémaphore en direct dans
l'incrustation à l'écran. Mal m'en a pris, si je deviens sourd, il me reste un bon
bout de chemin d'apprentissage à faire avant de poursuivre convenablement
une conversation, j'espère que les prothèses auditives qu'ils font maintenant
me suffiront (on dit prothèse, plus exactement on devrait dire orthèse, par
exemple, une jambe de bois, c'est une prothèse, une canne ou une béquille,
c'est une orthèse, mais on n'est pas là pour ergoter).
Il a démarré ensuite en brossant méticuleusement un tableau de la
situation, avec des couleurs, pour qu'on comprenne bien. En gros, je
t'explique, c'est différent du déconfinement (c'était vert orange rouge, comme
les feux de circulation), maintenant c'est comme au ski. Les pistes vertes,
c'est facile, c'est pour les débutants, ça descend à peine, des fois tu dois
même pousser sur les bâtons pour avancer, les bleues c'est un cran au
dessus un peu plus pentu, les rouges tu ne rigoles plus, tu descends, les
noires, je ne t'en parle même pas, tu ne les descends pas, tu les dévales, et
pas toujours exprès, parfois même de façon peu académique. Pour les
tableaux de la situation, c'est la même chose, à part que du bleu, il n'y en a
pas, c'est moins compliqué : Vert, tout est bien, ce sont des endroits que le
virus méprise, il ne sait peut-être même pas qu'ils existent, je serais région
verte je serais un peu vexée de ce dédain. Rouge, c'est l'alerte, tu es encore
dans les clous, mais tu dois faire attention. L'alerte renforcée (rouge vif, enfin
plus rouge que rouge), c'est que tu as des index qui dépassent les limites,
mais pas tous, bien sûr tu dois faire bien attention aussi, on ne sait pas trop à
quoi, mais tu dois faire attention. L'alerte maximale, ça doit être pourpre, ou
rouge sombre, ou rouge sang, ou écarlate (ça doit faire un peu peur, mais
pas trop quand même, l'angoisse, mais pas la panique, c'est ça la
communication), c'est tous les index dépassés, il faut faire très attention
aussi, sans quoi tu te retrouves en état d'urgence sanitaire, et là, c'est très
grave, tu es très embêté, parce que tu n'as plus de couleurs à ta disposition.
Il y aurait bien le noir, comme au ski, mais outre le fait que le noir ne serait
pas une couleur [ça se discute, parles-en avec Pierre Soulages], il n'est pas
de bon augure, le noir dans notre culture est signe de deuil, il a un côté
négatif, bref, ce n'est pas bon pour le moral, donc on évite, on en parle juste
pour évoquer ce qui nous pend au nez, mais on ne l'utilise pas, un peu
comme des parents qui menacent des enfants turbulents sans jamais les
corriger vraiment, un peu comme la bombe atomique qui fait dissuasion.
Une fois qu'on a bien fait le tour des tableaux, on fait le tour de France
(pas à vélo, le vélo c'était en septembre cette année, pas en juillet comme
d'habitude), métropole par métropole : Bordeaux, Nice, Marseille, où l'on note
comme dit le Ministre un « frémissement », un ralentissement de
l'accélération de la vitesse de propagation du virus (si, si, il a bien dit ça, et
c'est bien ce qu'il voulait dire !), bref, il a été rassurant, en fait c'est moins
grave que si c'était pire, c'était seulement pour justifier qu'on va bientôt leur
permettre de rouvrir au moins partiellement les établissements qui ont été
brutalement fermés sans préavis et surtout sans concertation préalable, sans
même prévenir les élus locaux qui s'en sont offusqués (l'élu local est un
personnage qui se distingue, quand il n'est pas incognito (et c'est rare quand
il y a une caméra en action dans les parages), par une écharpe tricolore,
portée le plus souvent en bandoulière, de l'épaule droite à la hanche gauche,
avec le rouge près du col pour un député ou un sénateur, le bleu près du col
pour le maire et le conseiller municipal, la couleur du gland (attention, celui
de l'écharpe) étant également codifiée [mais attention, pas en présence du
maire pour le conseiller municipal], l'élu local, même quand on est ministre,
c'est comme pour les chats, ça doit se caresser dans le sens du poil, sinon
ça fait de l'électricité, ça ne remplace pas les éoliennes ni les panneaux
photo-voltaïques, mais c'est embêtant). Lille, Lyon, Grenoble, Toulouse et
Saint-Étienne sont prometteurs, à deux doigts de l'alerte renforcée, pour
Paris qui est à part (forcément), on se garde une petite marge de manœuvre,
il suffit de préciser si c'est intra-muros, ou si on inclut la petite couronne, c'est
mathématique, les index ne sont plus les mêmes, du coup, astucieusement,
on peut faire un peu ce qu'on veut.
Lille a obtenu un petit délai, on ne peut pas se fâcher avec tout le
monde, il y a déjà Marseille qui fait la gueule. Pour les restaurateurs en
sursis, on va encore atermoyer un peu, histoire de ne pas se dédire trop
rapidement (et puis ils proposent tellement de précautions sanitaires que c'en
est attendrissant, ils proposent pour éviter des déplacements supposés
générateurs de contamination, de payer à table plutôt qu'à la caisse, en toute
bonne logique, et pour réduire les risques, ils pourraient même proposer de
ne pas payer du tout, c'est ça qui serait hygiénique).
La doctrine « Tester-Tracer-Isoler » a évolué : ou plutôt, en réalité elle a
subi un lifting sévère, comme une vieille belle qui se serait fait tirer de façon
tellement importante qu'elle se retrouverait désormais avec du poil au
menton. Maintenant, avec les conseils judicieux de communicants imaginatifs
et survoltés, c'est devenu pour le même prix (et encore peut-être pas, la
communication de ce niveau, ce n'est jamais gratuit) « Tester-Alerter-
Protéger ». C'est malin pour les deux derniers mots du triptyque seulement,
parce que tester à tout-va, je ne comprends toujours pas bien l'efficacité que
ça peut avoir (je m'en suis déjà expliqué précédemment, je ne veux pas
radoter).
Tracer avait un parfum de traçage, de tracking par drone, de filature, un
petit côté Big Brother, une évocation de police de l'autre côté du mur (à
l'époque où il y avait un mur), une impression de surveillance occulte qui ne
plaît pas trop (l'application StopCovid19 souffre vraisemblablement de la
méfiance que suscite ce traçage). Isoler, dans le même ordre d'idée, évoquait
la solitude, la claustration, l'enfermement au pain sec et à l'eau, voire la
clôture, ça sentait la prison, la geôle, le cachot, le cul-de-basse-fosse froid et
humide, les oubliettes, bref, rien que d'y penser, tu n'as pas envie d'être isolé.
La différence sémantique est sensible : Alerter te met en confiance, tu
sens la solidarité à ton égard, la prévenance, on te prévient, tu te sens pris en
charge dans ton intérêt. Protéger, ça va dans le même sens, c'est encore
mieux, tu te sens pris en charge, cocooné, protégé en même temps que tu
protèges les autres (en t'isolant, c'est malin). Comme quoi, il faut reconnaître
qu'il y a des virtuoses du langage, des maestros du vocabulaire (tu peux
écrire maestri si tu veux faire croire que tu connais l'italien et tenter de me
snober, mais le Larousse de l'Agagadémie française me donne raison). La
doctrine n'a pas changé d'un iota, mais l'idée qu'on s'en fait s'est grandement
améliorée. Pour un peu, si je ne me retenais pas et si les queues n'étaient
pas si longues, j'irai me faire tester gratuitement, rien que pour participer et
être à la mode, et éventuellement être alerté et protégé si besoin est.
On a appris à cette occasion qu'on était les meilleurs testeurs au
monde, que c'est nous qui en faisions le plus, cocorico dérisoire (ce qui nous
fait la jambe fort belle au regard de l'évolution de la pandémie), qu'il y avait
une forte demande, que les gens en redemandent, mais aussi qu'il y avait
des retards inacceptables dans le rendu des résultats, mais que
l'organisation par territoires allait être encore améliorée. On allait également
« prioriser », c'est à l'ordre du jour (en quelque sorte, c'est une priorité !).
Prioriser pour éviter les files d'attente invraisemblables (on est passé de 6
jours à 4 1⁄2 jours en moyenne), et les délais interminables de rendu des
résultats (actuellement 48 heures en moyenne). Pour les tests antigéniques,
on réfléchit encore à une stratégie d'utilisation, mais on a le temps (ils ne sont
pas encore franchement au point). Et puis, d'un point de vue
épidémiologique, ils ne sont intéressants que rétroactivement. Apprendre
après coup que tu as été malade n'a en soi, qu'un intérêt anecdotique. Déjà
que l'apprendre sur le coup avec les PCR, ça ne te permet pas grand-chose
d'autre que de faire ton intéressant...
En conclusion, « la stratégie utilisée est juste et bonne » (le ministre l'a
dit comme ça, sans sourciller, donc ça doit être vrai, et il n'y a pas à en
discuter plus avant). Pour la suite des opérations, il a refilé judicieusement la
patate chaude au bon Professeur Salomon pour un rendez-vous la semaine
prochaine. Depuis, j'attends sans impatience de savoir si on est rouge
écarlate ou noir, quelles mesures plus contraignantes vont être instaurées, à
quelle date et pour combien de temps, et je m'attends à tout, peut-être à
devoir mettre un masque même pour aller pisser ou prendre ma douche.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Ajoutez votre commentaire, choisissez ANONYME dans le profil, mais mettez votre prénom et initiale du nom pour vous identifier à la fin de votre texte. Merci