Depuis, j'ai mûri (un peu seulement, j'ai encore parfois devant l'actualité
des étonnements d'enfant naïf). Ado, j'ai appris la réconciliation (merci de
Gaulle) (et, par conséquent, l'allemand). Je me suis fait une opinion d'adulte,
de citoyen sur la Grande Guerre, sur le conflit mondial consécutif et l'arme
nucléaire, sur la guerre d'Indochine et celle d'Algérie. Je ne sais pas grand-
chose, je sais que gouverner est un art difficile, mais il n'a échappé à
personne qu'en 1939, nos dirigeants se préparaient à des hostilités de type
14-18, tranchées, fortifications imprenables et distribution de masques à gaz.
Ils ne préparaient pas le bon combat. Peut-on leur en vouloir ? Et peut-être
question encore plus dérangeante, y a-t-il de bons combats ?
Loin de moi l'idée de philosopher comme si j'étais sage, d'élaborer des
stratégies de Café du Commerce, mais la période actuelle présente de
troublantes analogies : nous sommes en guerre, c'est Mon Président qui l'a
dit, on croyait qu'on était prêts, en réalité ce n'était pas tout à fait le cas, on a
donc été pris au dépourvu, on a fait avec les moyens du bord, du mieux qu'on
a pu, par comparaison, on n'a pas été pires que les autres (on peut en
discuter longuement, mais c'est un peu tôt pour un bilan), je dis « on » pour
m'associer, pas pour dénigrer. Situation pas facile, mesures d'urgence, on ne
discute pas les ordres (la grande muette dit « seulement après qu'ils aient été
exécutés »), on fait corps, le bateau dans la tempête, tout le monde rame
dans le même sens, colmate les brèches, ce n'est qu'à l'accalmie
qu'interviendra la réflexion.
Je sais bien que les (plus ou moins) experts (plus ou moins) médicaux
et autres savants érudits ont un discours disparate et troublant, mais ça ne
devrait pas empêcher nos instances dirigeantes de faire preuve de bon sens.
Pour des raisons qui resteront probablement à éclaircir, on manquait de
masques, de lits, de personnel, de tests. Nos dirigeants s'en sont débrouillés
du mieux qu'ils ont pu, avec l'assentiment général le plus souvent. On
manquait aussi de connaissances sur le virus, sur sa diffusion qu'on sait
maintenant aérogène, il n'y a pas de traitement autre que symptômatique, ce
qui réduit beaucoup nos possibilités d'action. La prévention est donc
indispensable, au premier chef, le confinement, mesure sévère efficace pour
tuer la maladie, qui risque aussi de tuer le malade, mais aussi et surtout la
distanciation sociale et physique, bien avant tous les autres gestes barrière
comme le port du masque en espace clos, en milieu mal ventilé, et le lavage
des mains.
La doctrine de pratiquer les tests à tout-va, préconisée par certains
m'interroge fortement. Même l'OMS y est favorable, ce qui renforce encore
ma perplexité. Tester – tracer -isoler est la nouvelle religion, que je ne
comprends toujours pas. On l'a pratiquée dès les débuts, dans l'Oise, sur un
foyer épidémique relativement limité (cluster est devenu un mot à la mode à
ce moment-là), au moment où les tests étaient disponibles et les résultats
rapides. Ça ne nous a pas empêchés d'être submergés, débordés, saturés
par la recherche des cas-contacts. C'est à grand-peine qu'on a retrouvé le
patient zéro, trop tard évidemment, il avait eu le temps de faire des petits
partout (ce n'est pas une surprise, c'est un peu le principe de l'épidémie). Ça
aurait dû leur mettre la puce à l'oreille... Ensuite, on a manqué de tout, de
tests, d'écouvillons, de préleveurs, de réactifs. Des cartes multicolores nous
ont autorisé le déconfinement. On a quand même insisté, têtus, avec cette
même stratégie qui devait nous épargner une reprise. Les escadrons de
traçage dans les starting-blocks ont caracolé, mais pas assez vite
apparemment (mai 40 vous disais-je). Comment voulez-vous tracer un sujet
qui attend une semaine ou plus son test, et plus de huit jours ses résultats ?
S'il a une vie réglée comme du papier à musique, pépère, avec peu de
relations, et qu'il a bonne mémoire, on a une chance, pour peu qu'il ne soit
pas allé au spectacle, à un match de foot ou à une communion. Autrement,
c'est perdu d'avance, je le dis sans pessimisme outrancier (de toute façon, ce
n'est pas une question d'humeur, c'est le simple constat un peu fataliste qu'en
cas d'épidémie de ce type, il faut être modeste, on peut éventuellement
ralentir plus ou moins fortement la progression (avec des mesures très
strictes) mais pas la stopper définitivement). Les délais pour ces tests
peuvent exceptionnellement être raccourcis, mais il faut au moins être
professionnel footballeur, cycliste ou ministre (ce qui n'est pas donné à tout le
monde). Il y a même eu un labo qui proposait un circuit court moyennant
finances, « business is business », devant la réprobation générale, il a
expliqué qu'il ne le ferait plus (ou alors plus discrètement ?).Si tu es malade,
tu peux demander à passer en priorité, c'est possible, mais les modalités
d'une priorisation qu'on vient de juger indispensable ne sont pas encore
parfaitement définies, et ta fièvre sera retombée avant que ce ne soit le cas.
A côté de ça, maintenant, les tests, on ne les vend plus, on les offre, même
plus besoin de prescription médicale, c'est comme tu as envie, résultat on
encombre un peu plus un système qui grippe un peu et qui n'avait pas besoin
de ça. Un jour, je finirai par comprendre cet acharnement sur les tests (mais
pas tout de suite, je ne suis certainement pas assez vif d'esprit, mais j'ai
encore espoir qu'un de ces obsédés des tests qui se cramponnent à leur idée
fixe comme des morpions à leur poil pubien m'explique l'avantage
incontestable qu'ils apportent dans la lutte contre la pandémie).
Tester – tracer – Isoler contre vents et marées, le nez dans le guidon,
quel que soit le résultat, sans réfléchir, quoiqu'il en coûte, j'observe toujours
sans comprendre. On peut obtenir facilement l'information sur le nombre de
tests réalisés, sur le nombre de cas positifs, par ville, par département, par
région, il est plus difficile de trouver des chiffres exhaustifs sur les
dénombrements de cas-contacts, sans parler « des perdus de vue », et on ne
parlera pas trop des sujets positifs que l'on a « incités » plus ou moins
fortement à l'isolement, ni avec quels résultats. On ne peut évidemment pas
les mettre en prison (et encore, selon ce que j'en sais, les prisons ne seraient
pas des lieux aussi clos qu'on pourrait le penser). Je ne veux même pas
parler de l'application de traçage sur smartphone, StopCovid19, application
française gratuite, sans publicité, qui devait faire monts et merveilles,
téléchargeable mais très peu téléchargée, même les plus ardents défenseurs
avouent que c'est un bide sans nom (mai 40 toujours).
Et, comme c'est bizarre, malgré cet entêtement opiniâtre sur les tests
qu'on pratique de plus en plus, les courbes d'admission dans les hôpitaux et
les services de réanimation remontent, plus vite par ici, moins vite par là,
avec des comparaisons et des commentaires d'observateurs quelquefois
drôles, un peu comme si c'était une compétition de bonne conduite, comme
si c'était lié au comportement de quelques uns. Si ça continue, on va finir par
trouver des boucs émissaires, ça nous ramènera quelques siècles (ou
années) en arrière. C'est la faute aux jeunes, parce qu'ils sont jeunes et
irresponsables, salauds de jeunes ! C'est la faute aux vieux, parce qu'ils sont
vieux et fragiles, salauds de vieux ! Déjà dans l'Oise, c'était soit-disant la
faute à ceux qui étaient allés en Chine pour ramener nos expatriés confinés,
maintenant c'est à Marseille que sont désignés les coupables de
transmissions excessives, ces marseillais qui ont le gros défaut de ne pas
être parisiens, mais qui s'en défendent bien en prétendant que ce sont les
touristes parisiens estivaux qui sont à l'origine des contaminations...
En attendant, faites vous tester, avec ou sans ordonnance, je ne pense
pas que le résultat de votre test puisse avoir un impact significatif sur
l'évolution de la pandémie et de la vague qu'on pressent, mais ça vous fera
passer un moment, en cette période où les distractions se raréfient (les bars
de nuit ferment, les lieux culturels restent ouverts, de quoi me rendre
mélancolique, moi qui ai plus souvent envie de m'hydrater [m'alcooliser ?]
que de me cultiver !), mais surtout préparez-vous à taper à nouveau sur des
casseroles à 20 h pour encourager les personnels soignants, un peu plus fort
que la dernière fois, ils sont un peu fatigués, ça les rend sourds.
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