lundi 19 octobre 2020

La Chronique de Charles : Processus décisionnel

Qui décide de quoi ? Je suis comme un chien bien élevé : je fais où on me dit de faire. C'était, il y a fort longtemps le leitmotiv d'une campagne visant à lutter contre les déjections canines trop nombreuses sur nos trottoirs, et entre lesquelles il fallait habilement slalomer, le moindre moment de distraction, de relâchement vous disqualifiant olfactivement, voire plus (la merde de chien, c'est aussi glissant qu'une peau de banane qui, elle, pue nettement moins).« Apprenez-leur le caniveau ! » était l'injonction à la mode. Ça n'a pas trop bien marché avec les chiens (avec les chats non plus d'ailleurs, les bacs à sable des jardins d'enfants ont été supprimés depuis), actuellement on essaie à grand-peine d'apprendre à leurs maîtres à ramasser, apparemment, ce n'est pas gagné non plus, et ce n'est pas la suppression du sac plastique (pollueur pour l'éternité en exagérant un peu) et son remplacement par un sachet de papier fragile (mais bio) qui va arranger les choses. 
Je fais où on me dit de faire, mais je n'en pense pas moins. J'obéis, pas toujours avec plaisir, mais j'obéis, j'ai peut-être un peu tendance à la rébellion, je l'avoue, étudiant raisonnable, en mai 68, j'ai manifesté très pacifiquement, j'ai refait le monde en plus grand et en plus beau (malheureusement, ils ne m'ont pas écouté), j'obéis, quelquefois sans grand enthousiasme, je n'y mets pas trop de zèle, je traîne un peu les pieds, mais j'obéis. La question qui se pose est de savoir à qui.
Avec cette pandémie, on ne sait plus. Au démarrage du confinement, j'ai le souvenir d'une intervention digne, mais pas assez péremptoire du Premier Ministre qui préconisait fortement quelques restrictions d'activités. Il ordonnait le confinement, mais apparemment, le ton était trop mesuré, les gens n'y ont pas cru. D'où, en conséquence un week-end presque normal, à peine bridé concernant les festivités, mais avec une transhumance exceptionnelle par le rail et la route, paradoxale, et épidémiologiquement contre-productive . Il a fallu une intervention solennelle du Chef de l’État (« nous sommes en guerre ») pour remettre les pendules à l'heure, comme on dit. Là, c'était clair, sérieux, on ne badinait plus. De jour en jour, quelques petites précisions concernant les dérogations de déplacement, pour le sport à pied mais pas à vélo, pour le km tout droit, mais pas en zigzags, bref discussions sur des queues de poires. De quinzaine en quinzaine, une petite intervention pour annoncer la prolongation des restrictions. C'était clair, on savait (on croyait savoir ?) qui commandait. 
C'est devenu un peu plus flou par la suite, on a nommé un Monsieur Déconfinement, un spécialiste parmi tant d'autres (il s'est retrouvé Premier Ministre depuis), on a jonglé avec des cartes à deux puis trois couleurs (vert, et rouge, puis orange), on a recalculé des index qu'on a un peu tripatouillés pour que ça fasse sérieux et que ça arrange tout le monde. C'est là qu'on commence à s'apercevoir (à peine, il est vrai) qu'il y a, comme qui dirait, un peu de mou dans la chaîne de commandement : Des maires un peu plus prudents, des préfets un peu plus hésitants ont voulu réglementer certaines rues, certains centres ville, je ne veux même pas évoquer certaines plages ou certains fronts de mer, on a pu apprécier la fantaisie de quelques injonctions saugrenues. Ça restait univoque malgré tout, sans trop d'ambiguïtés. 
Et puis, je ne suis pas grand clerc en la matière, mais je pense qu'il fallait s'y attendre, relâchement ou pas, le virus refait des siennes (transmission aérogène oblige, tu peux te laver les mains autant que tu veux, éternuer dans ton coude et porter un masque, il s'en fout, si tu respires le même air que ton voisin, il se régale). Avec les tests désormais à profusion, on a observé des disparités, des différences notables entre régions, entre métropoles urbaines. Le Ministre de la santé prend des mesures, les préfets font leur boulot de préfet, les maires font leur boulot de maire, le problème c'est que ce n'est pas toujours exactement le même, ça manque un peu de parallélisme, de coordination, ils auraient le droit de ne pas être « raccord », ça ne me choque qu'à moitié, on n'en est pas à une discordance administrative près, mais là, c'est grave, très grave, gravissime même je dirais, on touche la nation dans ce qui fait son essence même, on joue de l'archet (en raclant un peu) sur la corde sensible, rendez-vous compte à quel point c'est dramatique, on veut fermer les bistrots ! Tout un symbole ! Même pendant les guerres, on n'a pas fait ça ! Le Conseil d'État est saisi de la chose, et détricote ce que d'autres ont habilement tricoté. Après ça devient trop compliqué pour faire une synthèse, et pour définir qui commande. 
En définitive, pour les masques, il y a des endroits où tu dois, d'autres où tu n'es pas obligé. Dedans, c'est toujours, mais en plein air, tu dois parfois aussi, mais pas partout, ça dépend des rues, le maire décide, mais le préfet supervise. Subtilement, l'élu local est consulté plus souvent, mais il est bien précisé qu'on n'est pas obligé de tenir compte de son avis (la concertation ça va bien cinq minutes, on n'est pas forcément d'accord sur tout, on a « concerté , on a pu exposer son point de vue mais, au bout du compte, il y en un qui commande à la fin, tenez-vous le pour dit). 
Pour les restaurants et les bars, c'est donc devenu imbroglio de toute beauté (je te résume, pour tu comprennes bien) : Les restaurants, c'est quand tu manges assis, en terrasse, terrasse qu'on n'a plus le droit de chauffer (pour ne pas réchauffer la planète), ils ont le droit d'ouvrir jusqu'à 22 heures en notant ton nom, en te faisant payer assis. Les bars (où tu ne peux pas rester debout) peuvent rester ouverts s'ils ont une cuisine (la parade que je te suggère : disposer d'un camping-gaz et d'une casserole d'eau, de quoi faire cuire un œuf dur, le tour est joué, tu as une cuisine), tu ne peux pas y faire de la musique non plus (pas dans la cuisine, dans le bar). Au passage, on ne dit plus bistrot ou café, ça fait péquenot, plouc, il faut dire bar, c'est bien plus select. L'interdiction de la musique, c'est pour éviter au cafetier (tu vois, c'est plus sympa que barman) la tentation de faire dancing ou boîte de nuit. La période devient difficile pour les dragueurs, tu ne peux plus prétexter de la danse pour des étreintes langoureuses, tu peux juste te rattraper en proposant le restaurant, mais si tu prévois un souper (pas un dîner, c'est trop tôt, un souper c'est vers les minuits) romantique aux chandelles avec violoniste tzigane et petite fleuriste, tu te trompes, tu as plus vite fait d'emmener ta dulcinée au kebab, ou de te faire livrer des sushis. Dans ces conditions, tu as intérêt à assurer pour le baratin si tu veux lui voir briller les yeux (tu peux éventuellement essayer de la griser un peu pour arriver à tes fins, mais ça manquerait d'élégance et ce ne serait pas très sportif non plus, à la chasse à la bécasse, ça ne se fait pas de tirer un oiseau posé). 
Mais revenons à notre sujet : qui décide de quoi ? Il y a une règle générale, souvent dictée avec bon sens (on peut l'espérer) par une autorité supérieure, à laquelle on est tenu se se plier, quelquefois bon gré malgré. Mais, et c'est là où je veux en venir, s'y additionnent en cascade des compléments (et/ou des restrictions) à chaque échelon d'une autorité qui pense avoir son mot à dire, ou être investi d'un compétence particulière, et je l'avoue, ça m'exaspère un peu, moi qui n'ai déjà pas besoin de ça pour voir perturbée ma fragile quoique légendaire sérénité. 
Je m'explique, et propose en exemple l'obligation du port du masque : La loi dit que c'est obligatoire dans les espaces clos. Soit ! On applique sans discuter, ça ne me pose pas de problème. Une autorité locale (préfectorale ou municipale par exemple) décide avec ce qu'elle pense être les meilleures raisons du monde que, par surcroît, ce port est obligatoire en plein air en centre ville, dans certaines rues, eu égard à la densité de population, j'acquiesce et j'obéis, je n'en pense pas moins mais j'obéis. Mais qu'un groupement, sans autre responsabilité autre que celle qu'il veut bien s'octroyer, de sa propre autorité et sans compétence particulière sur le sujet en rajoute une couche, la ceinture, les bretelles, et une ficelle en plus (pour notre bien, toujours dans une pieuse intention, mais ne dit-on pas justement que l'enfer est pavé de bonnes intentions ?), et exige ce port du masque pour la marche en plein air, en pleine campagne (et parfois, selon la météo, avec un vent à décorner les cocus, susceptible même d'arracher ce masque), dans des groupes à la jauge autorisée, c'en est trop, en tout cas pour moi. Je ne marche plus (au propre et au figuré, c'est le cas de le dire). 
Je veux bien être prudent, citoyen, responsable, solidaire, bon camarade, il y a des limites au mille feuilles d'obligations que les uns et les autres superposent à qui mieux mieux, en croyant bien faire. Un de ces bons apôtres a même tenté de me consoler, de me convaincre, en argumentant, devant ces excès d'autorité et de précautions auxquels il voulait me faire adhérer que,«si ça ne fait pas de bien, ça ne peut pas faire de mal ». Je lui ai suggéré de se planter des plumes d'autruche (j'ai, à la suite d'une amnésie transitoire, malheureusement oublié où je lui ai préconisé de le faire), si ça ne fait pas de bien, ça ne peut pas faire de mal, et ça risque même peut-être de faire joli. En tout cas, ça le fait bien sur les girls des Folies Bergères.

1 commentaire:

  1. Très bonne chronique, au moins on réfléchit à la langue française,!!!!!!AD

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