Je n'exagère pas, il suffit que le Président, ou le Premier Ministre
prévoie une communication importante pour qu'aussitôt, par le biais des
milieux « autorisés », bien informés par des sources « proches de ceux qui
savent », on nous dévoile le matin ce qu'ils vont dire le soir même ou le
lendemain, et la plupart du temps sans même le conditionnel qui serait, à tout
le moins, de rigueur. Moi, si j'étais Président, ou Premier Ministre, je serais
vexé qu'on me coupe ainsi l'herbe sous le pied, et j'en profiterais, derrière
mon pupitre, et devant mes petits drapeaux, pour dire haut et fort que ce
n'est pas la peine que je mette mon beau costume et que je réajuste ma
cravate si ce que je dis est déjà largement éventé, ce n'est pas la peine non
plus que je me paie le sous-titrage en « live » et l'interprète en langage des
signes (au départ, ça paraît faire double emploi, mais si on y réfléchit bien il y
a probablement des sourds [pardon ! soyons politiquement corrects, des mal
entendants] qui ne savent pas lire). Ça l'a fait pour le confinement, ça l'a fait
pour le dé-confinement, ça l'a fait pour le masque en entreprise, c'est en train
de le faire pour le plan de relance.
Bref, la moindre mesure est annoncée à l'avance, il ne reste comme
suspense que le choix des mots utilisés pour la préciser, ce qui donnera lieu
à des commentaires sans fin, plus ou moins adéquats, l'important étant de
faire, comme on dit maintenant, le « buzz ». Les exemples possibles à citer
seraient nombreux, on pourrait en discourir longuement, mais je n'en
retiendrai qu'un, pour la démonstration, et vous allez comprendre, bien mieux
que moi, j'en suis sûr, la difficulté de l'exercice :
La pandémie pose problème, et on ne sait pas vraiment où on en est.
Actuellement, il semblerait que le nombre de cas soit en augmentation
(attention, je ne suis pas sceptique quand j'écris « il semblerait », j'attends de
savoir de quoi on parle vraiment : manifestations cliniques suspectes,
diagnostic confirmé, résultat positif d'un test PCR, résultat positif d'un
sérodiagnostic, hospitalisation, admission en réanimation). Il semblerait, dis-
je, que le nombre de cas soit en augmentation par rapport à des références
qui ne sont pas toujours précisées, ce qui peut altérer l'appréciation de cette
augmentation. Ça n'empêche pas les spécialistes (et il y en a de très bons
dans le lot, sans parler des autres, mais s'il fallait attendre de savoir pour
pouvoir parler, ça se saurait depuis longtemps) de pérorer sur le phénomène,
et d'employer une multitude de substantifs variés pour la décrire. C'est ainsi
qu'on nous a parlé de deuxième vague, de vaguelette, de résurgence, de
rebond, qu'on nous a expliqué que non, que c'était toujours la première
vague, avec une reprise, qu'elle n'avait pas fait son tour partout, donc qu'elle
était en train de le faire maintenant là où elle ne l'avait pas fait avant... Moi, je
me perds un peu dans leurs explications (dans cette vague, je m'y noie?), il y
en a même eu un, sérieux tout compte fait, qui expliquait qu'une définition de
la vague, c'est quand les hôpitaux sont débordés. Ça m'a rassuré, il y a des
pays où il n'y a pas d'hôpitaux, ils n'ont donc pas eu de vague, c'est
probablement là qu'il faut aller se réfugier en attendant le vaccin. Manque de
pot, au moment où je vous parle, il n'y a pas d'avion disponible pour y aller!
J'ai entendu aussi, recrudescence, sursaut, regain, ça ne m'a pas
rassuré pour autant, d'autant qu'on a précisé (mais pas pour moi qui n'y
comprend rien) que l'évolution était exponentielle. Déjà, une pandémie, ça
me paraît grave, on me l'a assuré, c'est une pandémie mondiale, qu'elle soit
pléonastique en même temps renforce probablement son côté maléfique, par
surcroît celle-ci est virale, ce qui n'est pas fait pour me calmer les angoisses,
si en plus elle est exponentielle, c'est la fin de tout. Je ne sais pas bien
expliquer ce qu'est une croissance exponentielle, ce que j'ai retenu des
explications des journalistes, c'est que plus ça va vite, plus ça tendance à
aller vite, enfin, en gros c'est l'idée (j'en ai par ailleurs déduit peut-être un peu
trop abruptement que les journalistes en question étaient, de formation, et en
toute bonne logique, plutôt littéraires que matheux).
Une bonne nouvelle cependant, c'est que si le virus court toujours,
comme on nous l'affirme, ce n'est pas au cinéma. J'en veux pour preuve le
fait qu'on a un peu relâché les contraintes sanitaires dans les salles de
spectacle, on peut désormais s'asseoir les uns à côté des autres, en gardant
son masque bien entendu. En tout cas, ce virus commence à être mieux
connu, on sait désormais qu'il préfère aller à l'atelier ou au bureau plutôt
qu'au cinéma, la preuve incontestable, c'est qu'on l'y traque avec plus
d'ardeur : au bureau, tu dois éviter de te placer à côté de quelqu'un, au
cinéma ou au théâtre, tu peux.
Pour l'école, on n'a pas encore de certitudes : la pseudo-activité
scolaire de juin (j'écris pseudo sans méchanceté, sans intention de dénigrer
les enseignants et leurs actions, mais avouez qu'on était loin d'une activité
standard) n'a pas eu l'heur de lui plaire énormément, on aurait pu penser qu'il
allait se jeter sur les établissement scolaires comme l'alvéole sur les abeilles,
mais non, on n'a pas eu de vague liée à ça, ou alors on ne l'a pas vue, ce qui
est bien possible (le test pour le virus va finir par être au point et disponible
rapidement, pas quinze jours après que tu te sois fait ramoner les
muqueuses nasales et huit jours après ton rendez-vous, celui qui détecte les
vagues est encore à la phase d'élaboration). Pour le moment, on se
congratule d'une rentrée sans problème, ils sont tous venus, enfants éplorés,
parents fébriles et enseignants survoltés s'imbiber, s'imprégner d'un protocole
sanitaire méticuleux, et dans quinze jours (environ) on saura si on a affaire à
un virus décrocheur, un virus qui n'aime pas l'école. M'est quand même avis
que ce qu'il a vu de l'école en juin dernier l'a un peu dégoûté, s'il n'y remet
pas les pieds, on ne va pas s'en plaindre.
Pour les studios TV, le virus n'a pas encore tranché : il attend d'abord
que le protocole sanitaire se mette en place. On voit de plus en plus de
discussions en direct, ça ne passe plus par internet, il n'y a pas de masque,
les studios seraient moins propices au virus que les ateliers et les bureaux.
On y attend sans fébrilité excessive les dérogations au port du masque, on se
remet apparemment les uns à côté des autres sans méfiance excessive.
En attendant, on continue d'éplucher les mots ministériels tels
qu'ensauvagement, sentiment d'insécurité, et d'épiloguer sans fin en se
demandant si on va finir par se masquer partout, dehors comme dedans, et
même dans nos toilettes (pas vraiment de distanciation possible, mais je n'y
ai pas encore besoin d'être réglementairement masqué car, c'est une vieille
habitude, j'y suis le plus souvent tout seul!)
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