lundi 28 septembre 2020

La Chronique de Charles, Tenue républicaine

J'ai passé la majeure partie de ma scolarité du secondaire en blouse grise. Le Règlement Intérieur le précisait bien, blouse grise pour les garçons, blouse bleu ciel pour les filles, mais des filles, il n'y en avait pas (ce n'était pas mixte au départ, les filles sont arrivées plus tard, en seconde précisément, cette irruption a beaucoup nui à ma déjà modeste puissance de travail et à mon niveau de concentration, il faut dire qu'on n'avait alors pas l'habitude de la mixité, et un tel bouleversement des mœurs en pleine puberté boutonneuse avait de quoi perturber mes fonctions endocrines les plus primaires). Il faut dire que ce RI était probablement un vieux texte poussiéreux, retranscrit sans réfléchir au travers des générations, comme il en existe dans toutes les institutions un peu âgées quand elles n'en font pas sérieusement le ménage (si vous ne me croyez pas, relisez les statuts et le RI de votre association, vous vous ferez à coup sûr des remarques du même ordre). Il y était précisé que les élèves se devaient de faire honneur à la réputation du Collège en toutes circonstances, d'avoir une tenue et un comportement corrects dans et aux alentours de l'établissement, ne pas fumer également aux alentours (pas besoin d'interdire de fumer à l'intérieur, sacrilège, on n'aurait même pas pensé à le faire. C'est beaucoup plus tard que ç'a été autorisé pour les plus grands [c'était une erreur, on en est revenu depuis]). Ce texte obsolète devenu inapplicable n'était donc plus appliqué, et c'est uniquement par esprit de fronde adolescente que j'ai porté la blouse grise, pratiquement seul, pour me démarquer comme on le fait souvent à cet âge-là. J'ai même porté pour mes dernières années de lycée, le chapeau (pas en classe !), accessoire vestimentaire sujet à toutes les vicissitudes de la part de mes condisciples en cour de récréation, c'est dire le besoin d'individualisation qui m'habitait alors. Tout ça pour dire que la notion de tenue correcte et de ses limites me préoccupait déjà (et pourtant 1968 était encore loin).
Cinquante ans plus tard, il m'est arrivé, presque par inadvertance, de présider en quelques occasions un jury de baccalauréat : c'est un poste où il n'y a rien à faire (ce qui me convenait fort bien), une de ces aberrations administratives survivance d'un autre temps, il n'y avait rien à faire, mais je le faisais avec sérieux, conviction et componction. Lors des épreuves orales, en fonction des disciplines, il y avait parfois un peu de temps mort pour les examinateurs avec lesquels j'ai donc eu le loisir de bavarder. Ça nous a donné, entre autres, d'analyser les tenues de certaines candidates parfois un peu trop élégantes pour l'occasion, un peu en discordance avec les circonstances présentes, nos jugements étaient forcément empreints de subjectivité, ce qui n'entachait pas une neutralité de bon aloi pour l'établissement de la note. Mais que penser (et là j'en arrive à mon sujet du jour) de jeunes filles à la vêture extravagante faite pour choquer autant que pour provoquer (exciter serait trop fort), au décolleté un peu trop découvert, voire affriolant (je n'insiste pas, ne voulant pas faire le Tartuffe), de jeunes filles maquillées comme des voitures volées, chamarrées comme des icones et qui devaient croire que cela apporterait un plus à l'estimation de leur prestation parfois piètre. J'ai quelques rares et insuffisantes notions de psychologie, par indulgence je veux bien croire que le maquillage trop soigné est une protection, une défense, une cuirasse, un remède plus ou moins efficace contre la timidité et le manque de confiance en soi, mais là on avait plutôt affaire à un blindage, une armure. Il fallait tout le professionnalisme des examinateurs que j'ai rencontrés (que je salue, et qui étaient tout sauf des pères la pudeur) pour ne pas infliger de point de pénalité. Sans faire de sexisme plus que nécessaire, j'avais noté que les garçons étaient en moyenne beaucoup plus sobrement habillés, à l'inverse de ce qui se passe chez les oiseaux, où c'est le mâle qui porte souvent les livrées les plus chatoyantes. 
Tout ça pour en arriver à l'expression malheureuse de notre valeureux ministre de l'Éducation Nationale tombé, au hasard d'une question de journaliste dans un piège dont personne ne peut se sortir indemne. Qu'est-ce qu'une tenue correcte ? Qui décide ? Quels critères ? Quelle longueur ? Quelle(s) couleur(s) ? 
Il me souvient d'une époque lointaine certes, mais pas tant que ça tout compte fait, où les dames n'entraient pas dans les églises jambes nues, ni en pantalons d'ailleurs, où elles avaient toujours sous la main un fichu, un carré d'étoffe, un châle, un foulard (osons le mot !) pour ne pas entrer nu-tête dans un édifice religieux. A la même époque, les hommes se rangeaient à droite et les femmes à gauche (dans le sens de la marche ? Mais maintenant le sens de la marche a changé aussi !). Il y avait alors un bedeau, un sacristain, un Suisse en grand uniforme, avec un bicorne et une hallebarde, une vraie terreur pour l'enfant que j'étais (qu'est-ce que j'avais peur, je n'osais même pas tousser !), qui veillait à une tenue et un comportement corrects. Je n'ai jamais compris d'où il tenait ses consignes, il aurait pu les communiquer gracieusement à notre ministre, je suis sûr que ça l'aurait aidé à tourner une phrase moins creuse et moins équivoque. 
Mais avait-il le choix, notre ministre pris de court ? « Tenue correcte » fait désuet, ringard, ça ne passe plus, il suffisait à l'époque d'avoir une cravate, ce n'est plus un critère, « tenue laïque » c'est tout de suite la guerre de religion, « tenue décente » me paraît très connoté, ça fait un peu comme si tu promenais à poil. « Tenue républicaine », c'est bien choisi, ça fait neutre. Réflexion faite,c 'est mieux que de dire une bêtise, même si, au final, c'en est une. Mais qui lui lancera la première pierre ? 
La question est d'importance, on ne la réglera pas de sitôt : voyez, elle soulève des problèmes de société non encore résolus : Le féminisme exacerbé [et en ce moment il ne faut pas l'exacerber beaucoup pour le faire monter au créneau] se jette dans la bagarre (les jeunes filles ont le droit d'assumer leur féminité, d'aguicher sans être harcelées, les jeunes gens n'ont qu'à bien se tenir, se contrôler), la laïcité a également son mot à dire (ce n'est pas par hasard que j'ai évoqué le foulard tout à l'heure) et ce ne sont pas nos élus tombés dans le panneau d'une provocation intelligemment menée (mais provocation quand même il faut bien le dire) lors d'une commission d'enquête de l'Assemblée Nationale qui oseront me contredire. L'éducation par l'école va reprendre du poil de la bête (il y a du boulot : il faudra que les parents et les enseignants se mettent d'accord sur le sujet : qui interdira quoi à qui ?). Il y faudra de la sagesse, beaucoup, de la raison, beaucoup aussi, de la tolérance énormément, de l'indulgence et du respect de l'autre. On ne mesurera probablement plus la hauteur des jupes sous et au dessus des genoux (c'était ridicule mais en son temps on l'a fait quand même sans sourciller), on arrivera peut-être à un consensus mou, on arrivera à définir ce qu'est une tenue républicaine ou apparentée, mais ça va encore prendre un certain temps, la question est grave, certainement urgente, mais je pense qu'on a d'autres chats à fouetter (c'est une expression, je n'ai pas de sympathie particulière pour les chats, mais je n'irai pas jusqu'à les fouetter, ou alors il faudrait qu'ils le méritent vraiment). 
Et pendant ce temps-là, le virus continue à faire des siennes...

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