Mardi, allocution présidentielle solennelle. On sentait immédiatement que
c'est du sérieux, tout n'a pas fuité comme à l'accoutumée, les deux heures
d'insipides bavardages journalistiques préalables ont laissé des questions en
suspens, sans réponse nette, les présentateurs ne savaient pas tout à l'avance,
l'ambiance avait changé, dans l'entourage des hautes sphères du pouvoir où les
informations se murmurent (et/ou elles se négocient peut-être, va savoir), il a dû
y avoir des remontées de bretelles énergiques, et des rappels instants à la
discrétion, ils ont dû comprendre que ces annonces préalables malvenues ne
faisaient pas trop sérieux, donnaient l'impression d'un aimable foutoir, et que le
grand public (nous, en l'occurrence, les chers compatriotes comme dit le
Président), n'avait pas vraiment besoin de ça, en cette période de crise de
confiance.
Bref, tout le monde est sur les dents, les petits commerçants comme les
gros, les stations de sports d'hiver comme les restaurateurs, les patrons de bars
désabusés qui ne se font guère d'illusions, il n'y avait que le clergé qui ne
doutait pas, enfin pas trop, à coup sûr les messes allaient être autorisées, mais
les conditions n'en étaient pas trop précisées. Même le Père Noël (je ne l'ai pas
vu, mais on me l'a dit, de source sûre, encore une fuite ?) faisait grise mine, le
click n'collect, ce n'est pas trop son truc.
On a toutefois entendu (petite fuite ?) 8 m2
par client, dans la bouche d'un
artisan-coiffeur (artisan, ou industriel de la coiffure, je ne sais pas à partir de
combien de salariés on change de catégorie), je me suis fait la remarque 8 m2
par client, ou 8 m2
par personne (d'un point de vue sanitaire, c'est ce qui serait
le plus logique), ça ne fait pas tout à fait la même chose dans mon arithmétique,
il faudra voir le texte (et la façon dont il est appliqué).
La façade de l’Élysée, les premières mesures la Marseillaise, juste à
l'heure dite, ça fait sérieux, bien préparé. Le Président, bien propre sur lui,
veston bleu et cravate bleue (mais veston bleu presque bleu roi, à peine plus
clair que le bleu du drapeau tricolore, et la cravate bleu marine, donc un peu
plus sombre que le bleu du même drapeau, tu vois je suis attentif aux détails, lui
aussi apparemment, le bleu ça passe bien à la télé, et puis c'est assorti avec
son regard bleu des mers du sud, il le sait et il en joue, un vrai métier) se
présente, en buste, comme s'il était en télétravail, il ne nous fait pas le coup,
comme beaucoup, du lavage de mains en public, il s'en fout de donner
l'exemple, il est au dessus de ça, à l'écran, tu ne vois que le haut, en bas, il est
peut-être en pantoufles et en pyjama enfin, moi, je me l'imagine comme ça, ça
le démystifie un peu à mes yeux, et puis ça me passe un moment, même dans
les discours les plus sérieux, il y a toujours des moments un peu creux où l'on
s'ennuie. Derrière, il y a quelqu'un qui gesticule, comme un cancre dissipé dans
le dos du maître qui s'est retourné pour écrire au tableau, c'est pour les
malentendants, ils ont de la chance, en plus c'est sous-titré, il n'y en a que pour
eux. Les non voyants n'ont pas cet avantage, ils sont lésés, ils n'ont qu'à
écouter, comme le vulgum pecus (tout le monde).
Là, on va faire pédagogique, pour que tu comprennes bien, c'est comme à
Cap Canaveral (ou à Kourou si tu veux être un peu chauvin, nous aussi on a
des fusées qui pètent parfois, aussi bien qu'à la NASA), c'est une fusée à
étages, avec des allumages successifs, à chaque fois que l'étage précédent a
fait son boulot correctement, et ça n'ira jusqu'à l'apogée que si tout fonctionne,
c'est de notre responsabilité (chers concitoyens), donc il ne faut surtout pas
relâcher la pression (et c'est pour ça que les bars resteront fermés ! Pas de
bars, pas de pression, même pas le petit café du matin !).
Premier étage samedi matin aux aurores, ouverture de tous les
commerces, boutiques et autres activités artisanales, dans le plus strict respect,
cela va sans dire, des gestes barrières et d'un protocole sanitaire renforcé et
galvanisé, et la promenade hygiénique pourra durer trois heures dans un rayon
de vingt kilomètre (incidemment, ça n'a pas été dit, mais tu pourras la faire de
nuit, comme avant d'ailleurs, il n'y a pas de couvre feu). Pas de vrai
déconfinement donc (c'est un gros mot ! Enfin pas gros, seulement interdit, pour
que tu comprennes bien que tu ne dois pas te relâcher comme la dernière fois,
as-tu vu ce que ça a donné ?), seulement un confinement allégé (comme un
yaourt, ou un plat préparé pauvre en matière grasse (je te l'avais dit qu'ils
trouveraient des mots intéressants) avec un peu de chance, pour le même prix,
on aurait pu avoir bio, ils n'ont pas osé). Les messes oui, mais pas à plus de
trente ! Pour la quête, ça ne va pas faire gras. Au prix des cierges, est-ce que
ça en vaudra la chandelle ?
Deuxième étage mi-décembre, si le premier n'a pas foiré (si les chiffres
sont bons, ou plutôt moins mauvais), rien n'est gagné, plus besoin de papier, tu
sors sans motif, tu vas où tu veux, enfin presque, tu as quand même un couvre-
feu que tu n'avais pas auparavant, mais ça te laisse une bonne plage de
possibilités entre 06 h 00 et 21 h 00, tu peux même prendre un peu de marge
pour revenir d'un spectacle, mais tu feras bien attention de garder le ticket. Et
puis la ribouldingue de Noël et du jour de l'an, tu pourras aussi, pas de couvre-
feu ces soirs-là, mais ce sera en privé, tâche un peu d'être raisonnable et ne
relâche pas la pression, toujours dans le plus strict respect d'un protocole
sanitaire renforcé et inoxydable, il y aura peut être un feu d'artifices sur les
Champs Élysées, mais personne pour le regarder, les attroupements dans
l'espace public resteront interdits, tu l'apprécieras à la télé, c'est plus simple.
Troisième étage mi-janvier, toujours si le précédent n'a pas explosé en
vol, alors là, avec des chiffres encore en baisse, c'est la corrida, tu fais ce que
tu veux, mais tu gardes scrupuleusement les gestes barrières, tu pourras aller
dans les restaurants qui auront ouvert (les survivants), pour les bars et les
boîtes de nuit, on verra, c'est comme pour les stations de sports d'hiver, ce n'est
pas tranché, peut-être que là aussi, il faut que l'Europe en discute, autrement tu
vas aller skier en Allemagne ou en Autriche. Pour les lycées, retour au
fonctionnement plein pot, comme pour les salles de sport, toujours dans le plus
grand respect du protocole sanitaire renforcé et insubmersible. Pour les facs, ce
sera plus tard, ce doit probablement être que les étudiants se contaminent
beaucoup plus que le reste de la population ? Nos autorités doivent savoir ce
qu'elles font, même si je ne comprends pas tout.
A nouveau, appel à la responsabilité, et puis enchaînement sur la doctrine
incontournable Tester Alerter Protéger Soigner, ça va bien finir par marcher, à
force d'insister obstinément (et vainement). Les tests il y en a, il y en aura, à
foison, avec des résultats de plus en plus précoces, avec un peu de chance, on
va finir par les avoir, ces résultats, avant même que d'avoir réalisé l'examen,
l'application smartphone, il faut la télécharger, c'est un geste responsable, c'est
un vrai succès d'estime (comme on dit poliment quand c'est un raté
innommable), pour l'isolement on va penser à être plus strict, plus contraignant
(c'est un sujet scabreux, un sujet qui fâche, on ne va pas s'attarder). Pour le
vaccin, j'ai entendu fin de l'année, mais je dois être un peu sourd, je n'ai pas
entendu pour quelle année, mais là j'écoutais moins, comme disait l'autre (je ne
sais plus qui), les promesses n'engagent que ce qui les écoutent, pas ceux qui
les énoncent (à mon humble avis, si la population générale est vaccinée
correctement pour fin 2021, ce pourra être considéré comme la prouesse
sanitaire du siècle, l'OMS nous attribuera une médaille d'honneur). La
vaccination, c'est si on veut (nuance, pas quand on veut, il n'y a pas encore de
vaccin ni de date précise, on sait juste qu'il faut le conserver au froid). Pas
d'obligation donc, de façon nette, mais la sécurité sanitaire sera garantie,
indubitablement.
Petit rappel des aides, de leur renforcement, tour d'horizon large
recensant les catégories de travailleurs qui auraient été oubliées
précédemment. Rappel du sens des responsabilités et de la bienveillance de la
tutelle, et du contexte difficile en dehors du virus (le terrorisme, le dérèglement
climatique, les inégalités). Fin de discours sobre et digne. Fermez le ban !
Explication de texte le surlendemain, pour tous ceux qui n'auraient pas
compris la première fois, par le Premier Ministre et toute la troupe (ils étaient
« en pied », pas question de venir en pyjama), ils sont venus tour à tour,
quelquefois en se lavant les mains, mettre les points sur les i, chacun dans leur
domaine, santé, éducation, travail, entreprises, économie ,culture, il n'y a que
l'intérieur qui n'est pas venu, il était occupé par ailleurs à mettre à pied quelques
policiers lanceurs de grenade lacrymogène à la coercition trop enthousiaste, au
zèle excessivement contondant. Ce doit être le confinement qui rend hargneux.
Ils (nos ministres, pas les policiers frappeurs) s'y sont appliqués avec zèle,
avec un plaisir évident, avec des précisions méticuleuses, bien montrer qu'ils
sont sur le coup, la culture c'est compliqué de décaler les séances au cinéma
ou au théâtre, du coup on décale le couvre-feu, ça c'est pensé (le Président
avait parlé d'horodatage, sans être plus précis, je me voyais déjà au cinéma
avec un disque comme pour le stationnement en zone bleue), mais si tu vas à
l'opéra, et qu'au retour du spectacle, tu expliques au policier contrôleur de
couvre-feu que tu as vu l'Arlésienne, ce n'est pas sûr qu'il ne te prenne pas pour
un menteur, garde bien le ticket. Les stations de montagne, avec leurs canons,
elles font bien de la neige de culture, mais ça ne doit pas être la même culture,
le couvre feu pour elles, c'est toute la journée, elles auraient dû se rapprocher
du ministre des sports, plutôt que de Roselyne. Précision, les 8 m2
, c'est par
client, et les m2
, c'est sans les meubles et autres gondoles et matériels
d'étalage (en toute bonne logique, avec une contamination aérogène comme
c'est ici le cas, on aurait pu préférer une jauge en personne/m3
).
Et pour finir, me voilà tout triste et pensif, avec mes prédictions
imprécises, erronées voire ridicules, et mes rêves brisés, adieu veaux, vaches,
cochons, je me voyais pourtant un bel avenir, sillonnant la France (et sa
périphérie, n'ayons pas peur de voir les choses en grand), pieds nus, le crâne
rasé, et drapé dans ma serviette de bain blanche, un peu à la manière du
Mahatma Gandhi en campagne de non-violence. D'un autre côté, je suis
content, le fond de l'air commence à être un peu frais, ç'a beau être du tissu
éponge de bonne qualité, ça reste un peu léger pour la saison. J'essaierai peut-
être de refaire prophète un peu plus tard, mais plutôt vers le mois de mai, au
beau temps, au retour des hirondelles (pour la prochaine vague donc, et donc
peut-être pour le prochain confinement ?).
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