lundi 8 février 2021

La Chronique de Charles : Comment veux-tu qu'on s'inocule ?

Ce vaccin, quand j'avance, il recule, comment veux-tu qu'on s'inocule ? Ce n'est plus franchement de l'actualité, mais on s'en souvient encore, ce n'est pas si lointain, la campagne vaccinale démarrait en fanfare fin décembre, à grand renforts de média survoltés, de camions ou plutôt de camionnettes escortées de motards jaunes à casques blancs et clignotants bleus. Les petits vieux vulnérables susceptibles d'être fragiles en bout de course dans les EHPAD n'avaient qu'à bien se tenir, ils n'auraient pas le temps de seulement bouger une aile devant leur déambulateur qu'ils seraient vaccinés avant d'avoir compris, tous autant qu'ils étaient, et avec leur consentement éclairé mûrement réfléchi pour le même prix, ou tout au moins celui de leurs parents le cas échéant. Tout était parfait, un peu lent peut-être, mais parfait. 
On a eu droit à une première, la vaccination de Mauricette en public et en direct à la télé, ça n'a pas rameuté autant de monde que la traversée de l'Atlantique par Lindbergh mais presque, c'était quand même une première intéressante, avec tout le staff en grande tenue (il y a des EHPAD en tension, celui-là n'en faisait pas partie faut croire, en fond sonore la sonnette d'un petit vieux qui demandait le bassin, tant pis il n'avait qu'à attendre et à se retenir, toute l'équipe est sur la photo, la télé, ce n'est pas tous les jours), c'est tout juste s'il n'y avait pas le SAMU en coulisse, ils ont pris de gros risques, imagine si elle avait fait le moindre début de commencement de malaise devant nous, c'est toute la campagne vaccinale qui en prenait un coup, torpillée sous la flottaison dès le lancement. Heureusement, elle a eu le bon goût de dire que ça ne faisait pas mal (on ne sait toujours pas à l'heure actuelle combien on lui a promis pour qu'elle le dise). Elle aurait pu, un peu plus farceuse, faire une grosse grimace de douleur au moment fatidique de l'injection, mauvais pour l'image, là encore ç'aurait été un coup très dur porté à la pratique vaccinale, un sabotage en règle. Elle ne l'a pas fait. 
Ça partait apparemment fort dès janvier, en réalité c'était moins enthousiasmant que prévu, des esprits sagaces et chagrins mais un peu doués pour les mathématiques ont calculé qu'au train où l'opération salvatrice se développait, on n'en aurait pas fini avant la décade prochaine, d'autres esprits moins calculateurs mais plus irritables s'en sont énervés. Un habile changement de stratégie gouvernementale (mais je l'ai déjà signalé précédemment) permet alors de distribuer vers les professionnels de santé et apparentés les excès (tout relatifs et temporaires) de vaccins disponibles. L'un dans l'autre, l'opération s'enclenche à une vitesse un peu supérieure, ce n'était pas l'accélération du siècle, ça ne suffisait pas pour une mise en orbite, mais ça allait plus vite indubitablement, il n'y en aurait plus que pour deux ou trois ans au bas mot, quand tout à coup, au moment de vacciner les vieux hors EHPAD, on s'aperçoit soudainement qu'il n'y a plus assez de vaccins.Ne me demande pas pourquoi, je ne sais pas qui compte (en tout cas pas les gens du fisc, mes impôts sont calculés correctement), j'aurais tendance à penser qu'il y a quelque part des logisticiens trop bien payés. Perplexité de nos autorités devant l'alternative : que fait-on ? Reculer la seconde injection de ceux qui l'attendent, ou dénoncer les rendez-vous déjà pris ? C'est cette dernière solution qui est retenue, ce n'est pas un sprint, c'est un marathon, nous explique-t-on, ça sera fait pour la fin de l'année. 
Moi, je me figurais que le problème de la production de vaccins en masse était réglé, on avait bien parlé de tension, mais juste pour dire, des histoires d'usine à réaménager, personne ne semblait s'affoler, il y avait bien quelques couacs, mais c'était probablement une histoire de gros sous, une affaire de marchands de tapis, rien de plus, rien que quelques tractations discrètes et juteuses dans l'ombre des dessous de tables, on nous avait promis la transparence la plus totale sur les vaccins, on se contenterait de n'avoir que l'opalescence. Je ne sais pas si tu as remarqué, en conférence de presse qui dit presque tout, si quelqu'un pose une question courte et précise sur les stocks de vaccins, tu as droit en retour à une réponse longue, alambiquée, à quelques pourcentages, à quelques approximations mais à aucun chiffre sérieux. Observe bien la prochaine fois que ça se présente : on te parle de commande européenne, de doses en option, de doses réparties au pro rata, de doses prépayées, des doses commandées, des doses qui vont être livrées, des doses en commande, des doses disponibles, des doses réservées, des doses prévues, il n'y a pas longtemps, j'ai même noté (et retenu, parce que c'est quand même particulier) le terme de doses sécurisées, moi je n'ai pas tout compris, une dose sécurisée je ne sais pas bien ce que c'est, mais bon, les journalistes questionneurs habituellement agressifs non plus apparemment ne demandent pas plus de précisions, ils sont comme moi, ils ont peur de passer pour des ignorants (du coup, je risque peut-être de me retrouver vacciné avec une dose sécurisée, est-ce plus efficace ?). 
Là dessus, le Chef de l'État nous rassure de façon impromptue, presque par surprise, il n'y a pas de couac dit-il, ou si peu que pas, tout sera réglé pour la fin de l'été promet-il (ça nous met au solstice d'automne, pour le tourisme de printemps et les vacances d'été, tu peux déjà faire une croix dessus), on a des nouveaux vaccins qui arrivent, tu pourras les faire faire par ton pharmacien, il peut les mettre dans son frigo, mais ce n'est pas pour les vrais vieux, donc les vrais vieux, on va les garder pour plus tard, les priorités ne sont plus des priorités, en tout cas elles ne sont plus prioritaires, dans les préconisations d'indications , on est passés de « vieux vulnérables » à « moins vieux à co-morbidité(s) » d'un seul coup d'un seul. 
Et puis, ne nous embête plus avec cette histoire de vaccination, il n'y a encore pas si longtemps, tu rechignais, tu ne voulais pas te faire vacciner, on va attendre encore un peu que tu rechanges d'avis. De toute façon, ce qui préoccupe désormais, ce sont les variants (autrefois on disait mutant, aujourd'hui, c'est variant qui est à la mode, il faut t'y faire !). Les variants nous inquiètent, tu parles, si la vaccination traîne un peu, elle devient inutile si les mutants prédominent (ce qui est leur destin le plus probable, ça le fait bien pour la grippe et tu te vaccines tous les ans). Du coup, le marathon risque de redevenir un sprint : décidément, cette époque ne manque pas de piment. Il va falloir accélérer, mais comme dit l'autre, tu ne peux accélérer que quand tu en as sous le pied. Ici, c'est beaucoup plus ardu si tu n'a pas de vaccin, sécurisé ou pas. 
Et revoilà le Premier Ministre en majesté, avec une moitié du gouvernement devant des pupitres tricolores, selon lui tout baigne dans l'huile, question autosatisfaction c'est une bénédiction, un vrai bonheur, il est tellement content de la situation que j'ai bien cru qu'il allait nous faire un orgasme : c'est vrai, la situation est tendue mais sous contrôle, tellement on est bons, nous, lui aussi (c'est lui qui le dit), les tests, on est les champions d'Europe des tests, c'est nous qui en faisons le plus, c'est con, si on était aussi bons pour les vaccins que pour les tests, ce serait parfait (là, c'est moi qui le dis. Il y a des pays qui préfèrent acheter des vaccins plutôt que des tests, on a fait le choix inverse, on va pouvoir suivre précisément l'évolution de la pandémie et des différents variants), le credo reste tester, alerter, protéger, d'autres préfèrent vacciner, vacciner, vacciner, nous on reste les meilleurs pour les tests, on va même en faire profiter à la rentrée les petites classes qui jusqu'à maintenant ne demandaient rien à personne, on est même en train de faire la pige aux anglais en découvrant de nouveaux variants encore inconnus. Pas la peine de s'énerver sur les vaccinations donc. Il nous promet des créneaux de vaccinations, d'autres pays proposent des vaccinations, lui il propose des créneaux : remarque, le créneau, c'est un peu comme la vaccination, la différence avec la vaccination est subtile et simple, pour le créneau un coup il y a du vaccin, un coup il n'y en a pas, ça fait loterie en même temps, ou alors c'est comme chez ton poissonnier le vendredi, c'est selon arrivage, tu ne gagnes pas à tous les coups 
Les autres interventions sont moins percutantes, le télé-travail, il faut le favoriser, l'invitation se fait insidieusement incitation et vire doucement à l'injonction, rester à la maison, ça peut aider, le couvre-feu, il faut le respecter, ça peut aider aussi, et puis des sanctions peuvent aider elles aussi, scrongneugneu. Un petit point sur les vaccinations, un million et demi de sujets vaccinés, tu es content, ça avance, tu l'es moins quand tu t'aperçois que c'est le nombre de primo-injections, et que le nombre de sujets effectivement correctement vaccinés n'atteint pas 200 000, ce qui est beaucoup moins glorieux, et laisse des doutes sur les échéances promises (200 000 dans le mois, ça fait combien de mois pour arriver à 40 millions vaccinés souhaités (en gros, si on ne compte pas les plus jeunes) ? 
Et puis le vaccin russe, le Spoutnik V, qui était soit-disant pas terrible terrible, on en parlait seulement en fronçant le nez, le voilà qui est devenu très bon désormais, on s'en est aperçu d'un seul coup, on ne va plus pouvoir s'en passer, ça tombe rudement bien, justement, comme par un fait exprès, on manque un peu de vaccins, paraîtrait même qu'une injection suffirait. Quand même il faut un peu se méfier des effets secondaires, il se raconte que des vaccinés se sont mis à chanter Kalinka, ce qui ne serait pas franchement rédhibitoire (personnellement, je n'ai rien contre le folklore russe ni les poupées gigognes), mais aussi, et là, ça interpelle plus rudement, se sont mis à penser soviétique et à chanter l'Internationale !

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