Actuellement nous sommes tous confrontés à une épreuve un peu
difficile à vivre : la pandémie à Covid-19. C'est une maladie sérieuse,
redoutable même, effrayante en tout cas parce qu'encore mal connue, et
qu'elle peut, disons-le, parfois se terminer tragiquement (enfin, je dis ça pour
parler comme ma concierge, ou comme les journaux, tragiquement, ça ne
veut rien dire, ça dépend beaucoup de l'idée que tu te fais de la mort, surtout
si c'est la tienne, la mort des autres ça te préoccupe beaucoup moins, avoue-
le sans gêne, sans fausse pudeur, ça te fait parfois un peu de peine quand tu
connaissais l'intéressé [façon de parler] ou ses proches, un peu d'empathie
on ne peut pas s'en empêcher ou alors on fait au moins semblant, autrement
ce ne sont jamais que des chiffres, plus ou moins déshumanisés, c'est
encore plus vrai quand ce sont des morts lointains, le village voisin, le pays
d'à côté, voire aux antipodes...).
Les confinements, les couvre-feux, les mesures barrières et autres
restrictions de circulation ne viennent à bout qu'à grand-peine de sa
propagation, et l'apparition de variants divers et variés (maintenant qu'on a
finalement pensé à les chercher et donc qu'on les a trouvés) renforce encore
notre sentiment d'angoisse. Et puis, malgré cela, l'optimisme renaît, les
vaccins inespérés, plus précocement qu'on ne l'aurait jamais supposé, un
avenir plein d'espoir redevenu lumineux dans une aube encore naissante
certes, le bout du tunnel, toujours pour parler comme les journalistes (un
journaliste, c'est quelqu'un qui veut t'expliquer, au prétexte qu'il sait des
choses avant toi, à coup de métaphores plus ou moins originales [plutôt
moins, et on appelle ça des clichés ou des tartes à la crème] la vie, au cas où
tu ne l'aurais pas comprise tout seul, et qui du coup se prend, à cause du
complexe de supériorité que ça lui provoque parfois (s'il est un peu léger)
pour un maître à penser, un gourou, au prétexte qu'il t'apprend quelque
chose que tu ne sais pas, en confondant sans vergogne information et
enseignement), bref, ce ne sera jamais plus comme avant, mais ce sera
toujours mieux qu'aujourd'hui.
Un avenir lumineux, mais pas bleu azur : les vaccins au compte-goutte,
thermo-fragiles pour les premiers (j'aime bien thermo-fragile, ça dit bien ce
que ça veut dire, ce n'est pas un mot franchement nouveau quoique, et puis
ce n'est pas trop galvaudé, c'est même plutôt rare, décidément je l'aime bien,
je le replacerai, tout ça simplement pour dire qu'il faut des congélateurs à
-80° pour les conserver), des vaccins systématiquement priorisés, rares, très
rares (officiellement, il y en a beaucoup, dès que tu cherches à les compter
ça semble poser problème) et distribués parcimonieusement selon une
stratégie abondamment et mûrement réfléchie (tellement compliquée que
même ceux qui les distribue se mélangent les seringues), grâce à une
logistique perfectionnée (coûteuse, américaine et rémunérée en dollars) mais
restant perfectible.
On avait d'abord prévu les vieux fragiles des EHPAD, pas franchement
de limite d'âge, plutôt un statut. Avec tellement de précautions (consentement
éclairé par des informations lumineuses apportées à grand renforts d'images
télévisées et de flashes divers, délai de rétractation comme pour le
démarchage à domicile) que la fin de l'opération ne s'entrevoyait pas avant la
Saint Glinglin (Glinglin fut un obscur martyr du IIIème siècle qui avait le pouvoir
d'arrêter les pendules, ce qui n'était pas franchement un miracle à l'époque.
Supplicié à coups d'aiguilles de grande horloge, un peu à la manière de Saint
Sébastien, il est devenu logiquement après une canonisation douloureuse le
saint patron des horlogers mais aussi des vaccinateurs et des acupuncteurs
[à cause des aiguilles], il n'est plus fêté car il a été radié (rétrogradé ?) du
calendrier liturgique depuis l'avènement des montres digitales [qui n'ont plus
d'aiguilles]) de l'année prochaine ou de celle d'après. Devant la colère mal
voilée de gens pourtant raisonnables s'exaspérant de la lenteur
précautionneuse de ces opérations, une redéfinition souple des priorités
enclenchait un début de campagne en direction des professionnels de santé
de plus de 50 ans, et et de ceux avec comorbidités, pour lesquels on pouvait
la plupart du temps encore escompter deux doses (donc une vaccination
complète [la vaccination, c'est comme l'apéro, ça marche sur deux jambes]).
Le geste vaccinal est alors ensuite proposé logiquement aux sujets de
plus de 75 ans, en y incluant des plus jeunes avec comorbidités. Jusque là,
tout va bien sauf qu'il n'y a plus de vaccins. Ne me demande pas qui compte
quoi et comment, en tout cas, on se retrouve, après les embouteillages
monstres de prises de rendez-vous du début, avec des reports, des
annulations, des reprises sur liste d'attente, avec une situation relativement
stabilisée et des échéances programmées qu'on peut estimer sans trop se
tromper, vers Pâques de l'année en cours.
Là dessus arrive un vaccin dont l'efficacité est sans équivoque en
dessous de 65 ans, mais qui ne serait « pas recommandé » pour les plus de
65 ans. Se déclenche donc alors, et fort logiquement, et selon des priorités
incontestables, une nouvelle opération à l'adresse des professionnels de
santé âgés de moins de 65 ans, porteurs ou non de comorbidités. Ça va
traîner un peu devant quelques effets secondaires peut-être « contagieux »,
rien de grave, juste assez pour qu'on en parle plus que nécessaire, pas
vraiment de quoi prendre du retard en tout cas, même si on profite pour en
prendre un peu au passage.
Et puis, la conservation du vaccin étant moins délicate, un honnête
réfrigérateur suffit (tu as remarqué, on ne dit plus frigidaire, on ne dit presque
plus klaxon non plus, il faudrait dire avertisseur automobile, alors qu'on dit
toujours durit(e), remarque bien, tu dis aussi toujours carte grise au lieu de
certificat d'immatriculation, et pourtant elle n'est plus grise depuis lulure),
ouverture de l'offre aux médecins libéraux (par flacons de dix doses, livrés
avec aiguilles et seringues) qui les commanderont à leur pharmacien, à partir
du 25 février, pour leur patientèle de moins de 65 ans à comorbidités, charge
à eux de les regrouper par dix et de les convoquer.
Les médecins libéraux connaissent leurs patients, ça ne devrait pas
poser de problèmes particuliers, on risque de voir les choses s'accélérer un
peu. Il faut espérer que ça ne sera plus le tortillard qu'on a connu, mais il ne
faut pas rêver, ce ne sera pas le TGV non plus. Tout ça, pensé, organisé,
orchestré devrais-je dire plutôt, en un ensemble harmonieux du plus bel effet.
Euphorie, problèmes surmontés, le bonheur présagé pour demain.
Mais, comme pour Perrette et son pot de lait, adieu veau vache cochon
couvée ! Les vaccins se font rares, on les escompte et on les compte, on les
recompte, il en manque. On a même désigné un Monsieur Vaccin, fort
compétent au demeurant, il en parle bien, fort savamment (des vaccins),
mais la logistique ce n'est pas lui, ce n'est pas son truc, ce n'est pas pour ça
qu'il est là, c'est juste pour la poudre aux yeux, en tout état de cause, il est
aurait dû être nommé Monsieur Vaccin « par contumace », ç'aurait été plus
clair.
Si tu as eu la patience de me lire jusqu'ici (tu as du mérite, en plus tu
n'es pas obligé, moi qui suis obligé de me relire, des fois ça m'est pénible) et
que tu fais le bilan des propositions d'accès à la vaccination en fonction des
populations « ciblées » par tranches d'âge, tu vas t'apercevoir qu'il y a une
catégorie de citoyens (et de citoyennes, la moitié des hommes étant
composée de femmes, la phrase est ambiguë et correcte, mais je me
comprends) relativement négligés : si tu as entre 66 et 74 ans, si tu es en
bonne santé, et que tu n'as donc pas de morbidité (réfléchis, si tu n'es pas
malade, tu ne peux pas avoir de co-morbidité), tu fais partie des malchanceux
à qui on ne proposera un vaccin que dans un avenir très lointain. Mon
Président te l'as promis pour la fin de l'été, crois de bois, croix de fer, ça nous
met au plus tard au 21 septembre, dans 7 mois à la louche mais si tu n'y
crois qu'à moitié ça te sape inutilement le moral (ne regarde pas trop les
chiffres : on en est à 850 000 en 7 semaines, ce qui fera au rythme actuel 3,7
millions à l'échéance). De toute façon, tu dois bien avoir en tête que si tout le
monde est vacciné, tu n'as plus besoin de l'être, tu as au moins cette
consolation.
Et c'est à partir de cette disparité, de cette inégalité de traitement, de
cette iniquité patente que je m'insurge : il y a un trou dans la raquette comme
ils disent, quand ils n'osent pas dire que c'est une passoire (et puis, c'est plus
select de laisser supposer que tu joues au tennis que d'estimer que tu te sers
plus trivialement d'une écumette, tu peux aussi dire écumoire, mais je garde
de mon héritage culturel familial écumette, ne t'en déplaise, remarque le golf
est un peu plus snob, il y a des trous aussi, mais là on les vise, ils sont
calculés pour), l'âge ingrat ce n'est plus à l'adolescence, c'est entre 66 et 74
ans, la décade devenue maudite (une toute petite décade de 8 ans
précisément, pas la peine de me le faire remarquer, je l'avais vu tout seul), le
mauvais âge en somme. Pas de chance, tu seras vacciné après tout le
monde, peut-être même après les enfants des écoles si par hasard on
préconisait de les vacciner, après tout, on prévoit bien de les tester
massivement dès le retour de vacances, parfois même à coup de chiens
renifleurs.
Remarque bien, un peu de patience, le temps qu'arrive ton tour, la
pandémie se sera peut-être éteinte spontanément, elle marque un peu le pas
en ce moment, personne n'y comprend plus rien, on croise simplement les
doigts. Et puis tu peux aussi te consoler en imaginant que tu bénéficieras
probablement de la prochaine génération de vaccins, celle qu'on opposera
aux nouveaux variants, celle qui sera plus rapidement conceptualisée
maintenant qu'on connaît la recette, et plus rapidement produite, une fois les
usines rodées, et peut-être même un peu plus rapidement diffusée grâce à
une logistique devenue, avec l'expérience, irréprochable...
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