Et voilà Pépère, aussi jovial que d'habitude, sans friction au gel hydro-
alcoolique (pour moi, il n'y croit plus lui-même) en train de nous présenter
sans ambages la situation et les mesures qui ont été prises. Pour le point,
c'est très vite fait : il y a de l'accélération (pour le variant anglais, pas pour les
vaccinations, qu'est-ce que tu crois, il ne faudrait pas trop rêver non plus),
mais (il ne le dit pas comme ça, je te le résume un peu avec mes mots c'est
vrai, mais je ne trahis pas l'esprit) c'est moins grave que si c'était pire : en soi,
c'est déjà une bonne nouvelle, la propagation depuis huit jours est moins
importante que prévue, en tout cas, ce n'est pas exponentiel (je te renvoie à
tes cours de math/physique pour apprécier et craindre vraiment ce qu'est une
évolution exponentielle, moi je n'ai jamais vraiment pigé, j'en suis resté, pour
mes problèmes de robinets et de vidange de baignoires au modèle linéaire
simple, ma seule approche objective du problème c'est d'avoir constaté qu'au
fur et à mesure qu'elle se vide (la baignoire), elle met de plus en plus
longtemps à le faire). Le copain qui tentait de m'expliquer a renoncé à me
démontrer ce qu'est une décroissance exponentielle, j'ai été obligé de le
croire sur parole. Et depuis, le mot exponentiel me fait encore peur, et donc je
suis content que ça ne soit pas exponentiel, j'ai moins peur, c'est vraiment
une bonne nouvelle.
La contamination diminue chez les plus vieux, c'est aussi une notion qui
nous transporte de joie, enfin, ça fait un peu sucré-salé, si la contamination
recule chez les plus vieux, c'est peut-être un effet de la vaccination (on
aimerait le croire), c'est peut-être un peu aussi parce qu'elle a un peu plus de
mal à les trouver, les vieux, il y en a quand même un paquet qui ont, comme
on dit, lâché la rampe, ça édulcore et fausse un peu les statistiques. Pas de
quoi pavoiser donc, ce n'est peut-être qu'un trompe l’œil.
Nous sommes aujourd'hui confrontés à deux problèmes : d'une part les
hôpitaux sont pleins, pour parler crûment, presque saturés, presque c'est un
euphémisme délicat, tu es saturé ou tu ne l'es pas, il n'y a pas à tortiller (ça
me rappelle un copain, pas le même que pour les exponentielles, un autre,
ne t'en déplaise, j'ai plusieurs copains, un qui me disait pour ne pas me
froisser dans une discussion passionnée sur des queues de poire, « tu as tort
et raison à la fois », c'est blanc ou noir, ça ne peut pas être blanc et noir
(remarque, la télé avant, c'était bien noir et blanc). Pour la forte pression c'est
admissible, plus discutable, on se demande seulement quand ça va péter.
D'autre part, la situation territoriale est contrastée. Le couvre-feu est pour tout
le monde, mais il y a (nouveau mot dans notre pandémie) des flambées à
Nice et à Dunkerque (on ne parle plus de la Moselle, ni du variant sud-
africain qui s'y développait activement hier encore, et qui a donc dû
disparaître d'un seul coup, mystère ?). Ou plutôt on parle de la Moselle pour
dire que ça s'arrange pour eux (j'ai bien entendu le mot reflux, et pourtant là
on est loin de la mer), et aussi pour les Bouches du Rhône, en concertation
(sic) avec les élus locaux et les populations (s'ils ont là-bas un truc pour
éradiquer le virus, qu'ils nous le disent, on est preneurs). D'autres
départements par contre entrent au hit-parade, le Pas-de-Calais, les Hautes-
Alpes, l'Aisne et l'Aube. Ça tombe bien, on va pouvoir instaurer des mesures
territorialisées (l'Île-de-France a bien quelques petits soucis, mais tu
admettras qu'il peut y avoir des limites à la territorialisation, à la précision
chirurgicale, pour l'Île-de-France pleine de Parisiens, ce n'est pas tout à fait
pareil que pour les autres français, sans vouloir raviver la querelle Paris-
province, n'empêche, comme déjà lors de la der des der, le titi parisien reste
plus difficile à manipuler que le péquenaud de province, et quand j'écris titi, je
suis gentil).
J'ai dû mal noter, la première restriction, c'est le confinement du week-
end pour le Pas-de-Calais, je ne suis pas sûr que ça s'applique aux autres
départements, ni même aux autres zones « chaudes » comme le
Dunkerquois et le littoral niçois. A préciser, on a jusque samedi pour
s'informer... Pour tous les départements en question, c'est fermeture des
commerces de plus de 500 m2
, de même que des grands centres de plus de
10000 m2
, c'est port du masque dans toute les zones urbaines, pas
seulement le centre ville, les préfets interdiront les sites trop fréquentés, et
restreindront les manifestations publiques pour qu'elles le soient moins.
On va accélérer les vaccinations dans ces vingt-trois départements
(pourvu qu'on n'accélère pas trop quand même, qu'ils refrènent surtout un
peu leur enthousiasme, depuis qu'on est phase d'accélération constante, on
devrait, d'après mes calculs (mais je dois sûrement me tromper, j'ai toujours
été un cancre en cosmologie, je n'avais pas de copain balèze dans cette
discipline et puis c'était une matière à petit coefficient), se retrouver satellisés,
s'ils font trop de zèle, on serait presque être contents qu'il manquent de
vaccins pour être sûrs de rester sur une orbite terrestre.
Il a glissé quelques recommandations, le genre sans y toucher, limite
hypocrite, il ne faut pas le faire, on ne peut pas vous en empêcher, mais ce
serait bien si... Réduction des contacts sociaux au maximum, comme à Noël
et à Nouvel An, vous avez été bien, vous vous êtes bien comportés, et bien
faites pareil, et puis ne pas sortir du département. A titre personnel, je ne vois
pas ce que je peux faire de plus. Déjà les contacts, j'évite depuis un moment,
je n'ose même plus me regarder dans la glace de peur de contaminer mon
reflet, et puis pour sortir, tu es un peu coincé entre le Pas-de-Calais et la
Belgique que le virus semble affectionner et privilégier, et même le
Dunkerquois ne te fait pas franchement envie au vu des chiffres.
Là où ça va mieux, on n'a pas encore trop réfléchi à des
assouplissements. Déjà que le confinement général n'est pas à l'ordre du jour
(même si on ne s'interdit toujours pas l'idée, tu la sens bien la menace à
peine voilée), il faut tout faire pour tenir ensemble, en ciblant les vieux à
comorbidités et en déployant des réponses rapides et proportionnées, et on
reste, pour cette stratégie les meilleurs en Europe.
Les personnels soignants sont solennellement invités à se faire
vacciner (apparemment ça ne se passe pas aussi sereinement que pressenti,
il y en a qui rechignent alors que les doses qui leur sont allouées dorment
dans les congélateurs, on comprend que ça puisse énerver et perturber la
logistique, un tiers seulement des soignants seraient actuellement vaccinés).
On en profite pour parler encore un peu d'accélération (et de patience
incidemment, l'une ne va pas sans l'autre, ça ressemble à ma vidange de
baignoire on dirait). Le canal privilégié pour la vaccination, désormais ça va
être le médecin traitant, incessamment sous peu, et le pharmacien à partir du
15 mars. J'ai même entendu que pour la mi-avril, on proposerait le vaccin aux
sujets âgés de 50 à 74 ans en bonne santé (pour enfin combler ce trou dans
la raquette, corriger cette insupportable inégalité de traitement).
Et pour finir en apothéose, voilà Pépère qui repart en guerre, qui
décrète la mobilisation générale (sic), en précisant que, l'heure étant grave,
ce sera possible de se faire vacciner même le week-end, tu te rends compte
de la mesure exceptionnelle, vacciner un week-end, pour bien montrer que
c'est une urgence, rien que ça, il ne veut quand même pas nous refaire les
taxis de la Marne à lui tout seul ! C'est vrai qu'il a aujourd'hui un peu de
munitions en réserve,il en profite, il peut se permettre une charge éclair, un
moment de bravoure, rassurez-moi, ça s'arrêtera bien vendredi prochain la
furia francese ?
Là dessus, tour de piste du Ministre de la Santé, guilleret, rassurant, qui
promet l'ouverture de centres éphémères (éphémère, ça veut dire que ça ne
dure pas longtemps, forcément, tu n'as pas besoin de centres une fois que tu
n'as plus de vaccins), pour ne pas dire vaccinodrome sous barnum et raviver
le souvenir douloureux d'un vieil échec cuisant. On ne va pas déshabiller
Pierre pour habiller Paul, pudiquement on va rattraper le retard (on ne pensait
même pas qu'il y avait un retard, on l'apprend incidemment), on avoue au
passage que les 50-74 ans sans comorbidités n'ont pas de chance, mais ils
ne sont pas surpris, ils le savaient déjà. Pour les tests, on en fait de plus en
plus, deux millions par semaine, gratuits, même les écoles n'y couperont pas.
L'isolement sans contrainte va rester le dogme, mais on fait tout pour, et puis
on va écrire une lettre d'incitation aux soignants qui ne se vaccinent pas (ça
va leur faire plaisir, ils pourront l'encadrer et l'accrocher en décoration dans
leur salle à manger, tu penses, une lettre du Ministre, écrite à la main, il va se
faire une crampe de l'écrivain, il faut qu'il se fasse aider, il n'y arrivera jamais
tout seul, et tu vois la quantité de timbres à coller ! Quand-même, ministre,
c'est un dur métier). Il nous rappelle la nécessité d'une mobilisation sans
faille, et finit là-dessus.
Intervention en numéro spécial d'une brave dame, un peu comme un
« micro trottoir », un témoignage vécu, invitée pour nous relater son
expérience du terrain, pour nous montrer justement qu'ils se veulent près du
terrain. Pas grand-chose de signifiant, juste un peu de bruit avec la bouche,
mais pour une fois qu'ils tenaient un médecin satisfait, ils n'allaient pas la
lâcher comme ça. On a reparlé de l'accélération des tests et des
vaccinations, de l'importance des gestes barrières, on a aussi un peu évoqué
l'impact humain, juste histoire de faire une conclusion et montrer que c'était
fini.
Va savoir pourquoi je me sens insatisfait, frustré, un peu en manque ?
Ils n'ont même pas daigné me parler du bout du tunnel...
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