lundi 15 mars 2021

La Chronique de Charles : Le bout du tunnel.

Le jeudi, c'est toujours un vrai bonheur que d'attendre le communiqué officiel hebdomadaire du gouvernement. Ce jeudi, comme d'habitude, les journalistes de service font du remplissage, surtout pas de silence sur la bande son, pas de temps mort, pas de blanc, sur des images de l'avant-veille pas toujours franchement raccord, et bavardent de façon plus ou moins futile sur des sujets qui ne nous passionnent pas vraiment, prêts à s'interrompre à la seconde où le Premier Ministre va parler. On suppute, critique (mais à peine, et pour cause) les mesures qu'on croit prises et qui vont être révélées (mais à confirmer, disent-ils sans pudeur), il y aurait même eu cette fois-ci une fuite émanant d'un membre du Conseil de Défense (si c'est vrai) qui rapporte un propos du Président qui aurait dit « Pas de confinement tant qu'il y a des vaccins dans les frigos ». La phrase n'est pas scandaleuse en soi, elle est même honorable, c'est la fuite qui l'est, l'éthique n'est probablement plus ce qu'elle était ou qu'elle devrait être, ou alors l'idée que je m'en fais n'est plus la bonne. Honorable certes (au point que je me demande si ce n'est pas un coup de communication pour améliorer l'image du Chef, au passage, ça ne peut pas faire de mal), mais malheureusement elle en dit long sur le désarroi de nos décideurs perplexes et surtout déconfits devant l'organisation de la campagne vaccinale.
Et voilà Pépère, aussi jovial que d'habitude, sans friction au gel hydro- alcoolique (pour moi, il n'y croit plus lui-même) en train de nous présenter sans ambages la situation et les mesures qui ont été prises. Pour le point, c'est très vite fait : il y a de l'accélération (pour le variant anglais, pas pour les vaccinations, qu'est-ce que tu crois, il ne faudrait pas trop rêver non plus), mais (il ne le dit pas comme ça, je te le résume un peu avec mes mots c'est vrai, mais je ne trahis pas l'esprit) c'est moins grave que si c'était pire : en soi, c'est déjà une bonne nouvelle, la propagation depuis huit jours est moins importante que prévue, en tout cas, ce n'est pas exponentiel (je te renvoie à tes cours de math/physique pour apprécier et craindre vraiment ce qu'est une évolution exponentielle, moi je n'ai jamais vraiment pigé, j'en suis resté, pour mes problèmes de robinets et de vidange de baignoires au modèle linéaire simple, ma seule approche objective du problème c'est d'avoir constaté qu'au fur et à mesure qu'elle se vide (la baignoire), elle met de plus en plus longtemps à le faire). Le copain qui tentait de m'expliquer a renoncé à me démontrer ce qu'est une décroissance exponentielle, j'ai été obligé de le croire sur parole. Et depuis, le mot exponentiel me fait encore peur, et donc je suis content que ça ne soit pas exponentiel, j'ai moins peur, c'est vraiment une bonne nouvelle. 
La contamination diminue chez les plus vieux, c'est aussi une notion qui nous transporte de joie, enfin, ça fait un peu sucré-salé, si la contamination recule chez les plus vieux, c'est peut-être un effet de la vaccination (on aimerait le croire), c'est peut-être un peu aussi parce qu'elle a un peu plus de mal à les trouver, les vieux, il y en a quand même un paquet qui ont, comme on dit, lâché la rampe, ça édulcore et fausse un peu les statistiques. Pas de quoi pavoiser donc, ce n'est peut-être qu'un trompe l’œil. 
Nous sommes aujourd'hui confrontés à deux problèmes : d'une part les hôpitaux sont pleins, pour parler crûment, presque saturés, presque c'est un euphémisme délicat, tu es saturé ou tu ne l'es pas, il n'y a pas à tortiller (ça me rappelle un copain, pas le même que pour les exponentielles, un autre, ne t'en déplaise, j'ai plusieurs copains, un qui me disait pour ne pas me froisser dans une discussion passionnée sur des queues de poire, « tu as tort et raison à la fois », c'est blanc ou noir, ça ne peut pas être blanc et noir (remarque, la télé avant, c'était bien noir et blanc). Pour la forte pression c'est admissible, plus discutable, on se demande seulement quand ça va péter. D'autre part, la situation territoriale est contrastée. Le couvre-feu est pour tout le monde, mais il y a (nouveau mot dans notre pandémie) des flambées à Nice et à Dunkerque (on ne parle plus de la Moselle, ni du variant sud- africain qui s'y développait activement hier encore, et qui a donc dû disparaître d'un seul coup, mystère ?). Ou plutôt on parle de la Moselle pour dire que ça s'arrange pour eux (j'ai bien entendu le mot reflux, et pourtant là on est loin de la mer), et aussi pour les Bouches du Rhône, en concertation (sic) avec les élus locaux et les populations (s'ils ont là-bas un truc pour éradiquer le virus, qu'ils nous le disent, on est preneurs). D'autres départements par contre entrent au hit-parade, le Pas-de-Calais, les Hautes- Alpes, l'Aisne et l'Aube. Ça tombe bien, on va pouvoir instaurer des mesures territorialisées (l'Île-de-France a bien quelques petits soucis, mais tu admettras qu'il peut y avoir des limites à la territorialisation, à la précision chirurgicale, pour l'Île-de-France pleine de Parisiens, ce n'est pas tout à fait pareil que pour les autres français, sans vouloir raviver la querelle Paris- province, n'empêche, comme déjà lors de la der des der, le titi parisien reste plus difficile à manipuler que le péquenaud de province, et quand j'écris titi, je suis gentil). 
J'ai dû mal noter, la première restriction, c'est le confinement du week- end pour le Pas-de-Calais, je ne suis pas sûr que ça s'applique aux autres départements, ni même aux autres zones « chaudes » comme le Dunkerquois et le littoral niçois. A préciser, on a jusque samedi pour s'informer... Pour tous les départements en question, c'est fermeture des commerces de plus de 500 m2 , de même que des grands centres de plus de 10000 m2 , c'est port du masque dans toute les zones urbaines, pas seulement le centre ville, les préfets interdiront les sites trop fréquentés, et restreindront les manifestations publiques pour qu'elles le soient moins. 
On va accélérer les vaccinations dans ces vingt-trois départements (pourvu qu'on n'accélère pas trop quand même, qu'ils refrènent surtout un peu leur enthousiasme, depuis qu'on est phase d'accélération constante, on devrait, d'après mes calculs (mais je dois sûrement me tromper, j'ai toujours été un cancre en cosmologie, je n'avais pas de copain balèze dans cette discipline et puis c'était une matière à petit coefficient), se retrouver satellisés, s'ils font trop de zèle, on serait presque être contents qu'il manquent de vaccins pour être sûrs de rester sur une orbite terrestre. 
Il a glissé quelques recommandations, le genre sans y toucher, limite hypocrite, il ne faut pas le faire, on ne peut pas vous en empêcher, mais ce serait bien si... Réduction des contacts sociaux au maximum, comme à Noël et à Nouvel An, vous avez été bien, vous vous êtes bien comportés, et bien faites pareil, et puis ne pas sortir du département. A titre personnel, je ne vois pas ce que je peux faire de plus. Déjà les contacts, j'évite depuis un moment, je n'ose même plus me regarder dans la glace de peur de contaminer mon reflet, et puis pour sortir, tu es un peu coincé entre le Pas-de-Calais et la Belgique que le virus semble affectionner et privilégier, et même le Dunkerquois ne te fait pas franchement envie au vu des chiffres. 
Là où ça va mieux, on n'a pas encore trop réfléchi à des assouplissements. Déjà que le confinement général n'est pas à l'ordre du jour (même si on ne s'interdit toujours pas l'idée, tu la sens bien la menace à peine voilée), il faut tout faire pour tenir ensemble, en ciblant les vieux à comorbidités et en déployant des réponses rapides et proportionnées, et on reste, pour cette stratégie les meilleurs en Europe. 
Les personnels soignants sont solennellement invités à se faire vacciner (apparemment ça ne se passe pas aussi sereinement que pressenti, il y en a qui rechignent alors que les doses qui leur sont allouées dorment dans les congélateurs, on comprend que ça puisse énerver et perturber la logistique, un tiers seulement des soignants seraient actuellement vaccinés). On en profite pour parler encore un peu d'accélération (et de patience incidemment, l'une ne va pas sans l'autre, ça ressemble à ma vidange de baignoire on dirait). Le canal privilégié pour la vaccination, désormais ça va être le médecin traitant, incessamment sous peu, et le pharmacien à partir du 15 mars. J'ai même entendu que pour la mi-avril, on proposerait le vaccin aux sujets âgés de 50 à 74 ans en bonne santé (pour enfin combler ce trou dans la raquette, corriger cette insupportable inégalité de traitement). 
Et pour finir en apothéose, voilà Pépère qui repart en guerre, qui décrète la mobilisation générale (sic), en précisant que, l'heure étant grave, ce sera possible de se faire vacciner même le week-end, tu te rends compte de la mesure exceptionnelle, vacciner un week-end, pour bien montrer que c'est une urgence, rien que ça, il ne veut quand même pas nous refaire les taxis de la Marne à lui tout seul ! C'est vrai qu'il a aujourd'hui un peu de munitions en réserve,il en profite, il peut se permettre une charge éclair, un moment de bravoure, rassurez-moi, ça s'arrêtera bien vendredi prochain la furia francese ? 
Là dessus, tour de piste du Ministre de la Santé, guilleret, rassurant, qui promet l'ouverture de centres éphémères (éphémère, ça veut dire que ça ne dure pas longtemps, forcément, tu n'as pas besoin de centres une fois que tu n'as plus de vaccins), pour ne pas dire vaccinodrome sous barnum et raviver le souvenir douloureux d'un vieil échec cuisant. On ne va pas déshabiller Pierre pour habiller Paul, pudiquement on va rattraper le retard (on ne pensait même pas qu'il y avait un retard, on l'apprend incidemment), on avoue au passage que les 50-74 ans sans comorbidités n'ont pas de chance, mais ils ne sont pas surpris, ils le savaient déjà. Pour les tests, on en fait de plus en plus, deux millions par semaine, gratuits, même les écoles n'y couperont pas. L'isolement sans contrainte va rester le dogme, mais on fait tout pour, et puis on va écrire une lettre d'incitation aux soignants qui ne se vaccinent pas (ça va leur faire plaisir, ils pourront l'encadrer et l'accrocher en décoration dans leur salle à manger, tu penses, une lettre du Ministre, écrite à la main, il va se faire une crampe de l'écrivain, il faut qu'il se fasse aider, il n'y arrivera jamais tout seul, et tu vois la quantité de timbres à coller ! Quand-même, ministre, c'est un dur métier). Il nous rappelle la nécessité d'une mobilisation sans faille, et finit là-dessus. 
Intervention en numéro spécial d'une brave dame, un peu comme un « micro trottoir », un témoignage vécu, invitée pour nous relater son expérience du terrain, pour nous montrer justement qu'ils se veulent près du terrain. Pas grand-chose de signifiant, juste un peu de bruit avec la bouche, mais pour une fois qu'ils tenaient un médecin satisfait, ils n'allaient pas la lâcher comme ça. On a reparlé de l'accélération des tests et des vaccinations, de l'importance des gestes barrières, on a aussi un peu évoqué l'impact humain, juste histoire de faire une conclusion et montrer que c'était fini. 
Va savoir pourquoi je me sens insatisfait, frustré, un peu en manque ? Ils n'ont même pas daigné me parler du bout du tunnel...

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