lundi 1 mars 2021

La Chronique de Charles : Relation de cause à effet.

Il m'est arrivé, dans une de mes vies antérieures, de pratiquer une discipline intitulée immodestement « Médecine et Chirurgie Expérimentales » désormais disparue des programmes d'enseignement. Dans ces temps lointains, un de mes collègues chercheur a voulu établir voire préciser la relation qui pouvait exister entre aptitude locomotrice et masse musculaire disponible, la question était d'intérêt même si ça ne saute pas d'emblée aux yeux, c'est comme ça qu'avance la science. Son dispositif expérimental avait le mérite de la simplicité : Une grenouille dans la fleur de l'âge et un mètre ruban. On claque dans les mains, la grenouille effrayée saute, on mesure précisément la distance franchie. Après amputation (sous anesthésie, « on n'est pas des sauvages » disait Popeck) d'une patte, le même protocole est appliqué trois fois de suite, on peut construire un abaque explicitant la relation qui nous intéresse. Il se confirmait bien, et ce n'était pas vraiment démontré jusque là, avec trois points sur la courbe, que moins la grenouille à de pattes moins loin elle saute. Trois points seulement, car avec quatre pattes en moins la grenouille ne saute pas, la distance est nulle mais ne peut être validée. Mais mon collègue en tirait en outre une autre conclusion tout aussi péremptoire qu'on a du mal à réfuter :« Quand on coupe les quatre pattes d'une grenouille, elle devient sourde ».
Rassure-toi, la science avance à grands pas (et pas seulement à saut de grenouille), on le constate avec les vaccins, au train où ça va, dans un avenir proche on va disposer des vaccins avant même que les virus soient de sortie. Pour l'instant on court après eux, demain on va les précéder, ce n'est pas une utopie, c'est déjà le cas (avec plus ou moins de bonheur) avec la vaccination anti-grippale par exemple. Tu te demandes bien où je veux en venir, et je vais répondre très vite à tes interrogations et te soulager, que tu te ne fasses pas des nœuds dans la comprenette : J'entends des élus locaux, régionaux et même plus, des responsables plus ou moins scientifiques, des politiques de toutes tendances, des journalistes en mal de sensationnel affirmer à partir de faits mal constatés, de chiffres disparates, d'anecdotes comme il s'en racontait sur des coins de comptoir de bistrots (quand les bistrots étaient ouverts, heureuse et révolue époque), affirmer avec des accents de certitude qui me foutent le vertige, une relation entre l'heure du couvre-feu et le nombre de cas positifs dans leur circonscription, cette relation pouvant aussi bien être positive que négative (généralement en fonction de la sensibilité politique ambiante), et je me remémore mon collègue et sa grenouille soit-disant sourde. Il est tellement difficile d'établir une relation de cause à effet, il est tellement facile d'établir des contre-vérités avec une sincérité désarmante. Le restaurateur pressé de restaurer dit-il (et d'assaisonner le client, ne dit-il pas) qui jure ses grands dieux qu'on n'a pas découvert de cluster dans les restaurants, le comédien de théâtre ou l'exploitant de salle de cinéma qui réfutent l'idée même qu'on puisse se contaminer chez eux sont parfois de bonne foi, au prétexte qu'on ne décrit pas de cas avéré dans leurs salles, mais ne tirent pas les bonnes conclusions, ou plutôt ils tirent les conclusions qui les arrangent, on reste désarmé devant tant de candeur si elle est sincère, devant tant de grenouilles sourdes. 
Notre Ministre de la Santé est venu nous faire son tour de piste hebdomadaire, pour bien nous expliquer de ne pas nous relâcher (on n'y avait même pas pensé !), on n'est toujours pas sorti de la deuxième vague, on est toujours dans la zone de danger, le variant n'est pas maîtrisé, tester alerter protéger, toujours la même doctrine, rien de nouveau en somme. Il était accompagné d'une scientifique de haut niveau qui nous a expliqué simplement et clairement les différences entre prévisions et projections avec hypothèses, du coup elle n'a pas fait de prédictions, mais en gros, si je schématise un peu, ses belles courbes de prévisions et de projections étaient à peu près les mêmes (pour l'une les pointillés étaient rectilignes, pour l'autre, ils ondulaient un peu). Sa prudente perplexité résultait d'un constat un peu paradoxal, souligné un peu plus tard par Notre Ministre : La proportion de variants augmente, mais le nombre de contaminations diminue. Et tous, autant qu'ils sont, se gardent bien de la moindre explication, tous demeurent cois, ils n'arrivent pas à s'expliquer le phénomène, les meilleurs (et les plus sages) restent circonspects et se perdent en conjectures, ils espèrent que cette décrue est une réalité, ils n'osent pas espérer que ce ne soit pas un « bruit de fond », un mouvement brownien, on est dans une phase un peu spéciale, un peu hors du temps, comme à la roulette quand rien ne va plus, qu'on ne sait pas encore quand et où la bille va tomber. Les grands fournisseurs d'explications restent prudemment muets (on les comprend, tu as vite l'air con quand tu expliques savamment le mécanisme d'un truc qui va croissant, et qui finalement évolue à la baisse, et/ou vice versa), ils attendent, c'est l'enfance de l'art et la prudence élémentaire pour ces faux prophètes, de savoir de quel côté la pièce va retomber avant de dire pourquoi justement elle est retombée de ce côté là. 
Donc surtout ne pas bouger, si possible même ne pas respirer, ne rien faire qui puisse faire évoluer la situation dans le mauvais sens. Ça descend, bien malin celui qui peut dire pourquoi, mais ça descend, on va surtout ne rien faire, si ça se confirme, c'est une bonne nouvelle, il sera toujours temps de trouver des explications (et des sommités médicales et/ou politiques pour en trouver). 
J'ai bien une petite idée, elle ne vaut certainement pas mieux qu'une autre, mais en attendant que des gens largement plus malins que moi viennent expliquer le pourquoi du comment, je me dis que sans pouvoir l'expliquer rationnellement, ni même vouloir le faire, la crainte du variant mystérieux, plus méchant (130 % plus létal nous a-t'on dit), plus exotique (sud-africain, brésilien, c'est mieux qu'anglais, c'est plus lointain, moins banal) y est peut-être pour quelque chose : on ne m'ôtera pas de l'idée que si le nombre de cas positifs atteint des niveaux aussi importants (on tourne en moyenne à plus de 20 000 cas journaliers), c'est probablement que les gestes barrières ne sont pas strictement respectés, par maladresse, par ignorance, mais peut-être aussi par insouciance. La prise de conscience de la situation, émoussée par l'habitude d'un virus d'abord trop craint, puis ensuite trop négligé s'est exacerbée à l'occasion de l'apparition d'un nouveau danger méconnu donc davantage redouté. Ceci pourrait bien expliquer cela, je ne m'avance pas plus loin, j'ai trop peur de tomber dans un travers que je dénonce chez d'autres, d'expliquer la surdité des grenouilles amputées... 
En tout cas, d'autres n'hésitent pas, ou très peu. Les prudents osent à peine évoquer une relation de cause à effet, les intrépides extrapolent un peu plus et en induisent une causalité fortement discutable, ils en concluent à des corrélations invraisemblables. A l'occasion de chiffres qui flambent à différents endroits du territoire, on entend les hypothèses les plus farfelues, pour la relation de cause à effet en Moselle c'est compliqué, la moitié du département travaille au Luxembourg, l'explication en serait ce brassage forcément délétère, d'autant qu'il y a des belges qui font la même chose de leur côté, et les allemands du leur, pour Nice et Dunkerque c'est plus facile (à gober comme explication), c'est le Carnaval qui serait responsable avec son afflux de touristes souhaité par les commerçants niçois, regretté par les autres autochtones (à Dunkerque ce seraient les chapelles clandestines, le touriste en février, sans vouloir dénigrer ma région, y est plus rare), pour la région parisienne peut-être que c'est à cause du centralisme responsable de tout, va savoir ! Et tout le monde s'en mêle (s'emmêle), les positions se durcissent au point de devenir déraisonnables, les décisions deviennent des gesticulations dans la concertation, le couple maire-préfet divorce et se remarie à qui mieux mieux, retardant au prix d'un consensus mou les dispositions urgentes à prendre (à Nice, il a fallu attendre le lundi matin pour des dispositions qui auraient pu être instaurées dès le samedi précédent, peut-être même dès le vendredi). Et tout ce à quoi ça aboutit en définitive, c'est à orienter préférentiellement des lots de vaccins vers les territoires en question, histoire de calmer le jeu, et comme il n'y a déjà pas beaucoup de vaccins disponibles, ça conduit à des reports au détriment d'autres régions. Bien sûr que la vaccination est importante, bien sûr que c'est la solution, mais c'est une solution dans l'avenir, c'est pour dans quelques mois, c'est pour la prochaine fois (la prochaine vague, dès qu'on sera sorti de celle-ci), la Covid- 19, ce n'est pas la rage pour laquelle on vaccine des sujets susceptibles d'être atteints, pour les sujets positifs Covid, c'est trop tard (on peut même se demander si c'est bien raisonnable de vacciner un sujet résidant en zone à risque et donc peut-être déjà en phase d'invasion Covid et donc fragile, les études rétrospectives nous le diront certainement plus tard). 
En attendant des jours meilleurs, fais-toi vacciner dès que tu en auras l'occasion (si tu as entre 66 et 74 ans, reste zen, dis-toi que cultiver la patience forge la grandeur d'âme), et respecte le plus possible les gestes barrières, ils sont tous utiles, moi, ceux que je privilégie c'est d'éviter au maximum les espaces clos surtout confinés, c'est d'éviter de se faire parler « dans le nez », c'est la distanciation dès que c'est possible et bien sûr évidemment (dérisoire barrière au demeurant) le masque. Tu peux aussi t'en laver les mains. 
Par chance probablement, je ne suis pas contaminé (je n'ai pas l'outrecuidance de m'en targuer), faut-il y voir une relation de cause à effet entre mon attitude prudente et ma non-infestation Covid ? Il y en a beaucoup, tout aussi prudents (et même plus malins que moi) qui n'ont pas eu le bonheur de s'en tirer indemnes, je ne confonds certainement pas chance et probabilité.

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