dimanche 7 mars 2021

La Chronique de Charles : Mise au point. (Attention, autre Chronique demain !)

Le Premier Ministre communique officiellement. C'est notre rencontre désormais hebdomadaire (rappelle-toi, hebdomadaire, c'est quand il y a une bosse, s'il y en a deux, c'est chameau). C'est du sérieux, j'ai bien vu qu'il était préoccupé, trop énervé, il n'a même pas pris le temps de se laver théâtralement les mains au gel hydro-alcoolique, comme il le fait d'habitude, histoire de faire exemple. On sentait bien qu'il était ennuyé (ennuyé c'est un euphémisme, c'est ce que tu dis poliment quand tu veux être poli et ne pas utiliser le mot qui te vient spontanément à l'esprit). Il a parlé de vérité, de transparence, tant et tellement qu'on en deviendrait méfiant, si on ne l'était pas déjà un peu. Il nous a appris que la situation sanitaire était dégradée, que le virus progresse partout, ce qui tu me l'avoueras n'est pas franchement un scoop. La bonne nouvelle, c'est qu'on a gagné du temps, les écoles fonctionnent, quand ce ne sont pas les vacances, justement c'est le moment, les vaccinations progressent, mollement, mais elles progressent (chi va piano, va sano e va lontano). Et puis le confinement, ça ne marche pas franchement, c'est très surfait, ça a des inconvénients aussi, beaucoup d'inconvénients, on ne le fera qu'en dernier recours, s'il n'y a pas franchement moyen de faire autrement. La Moselle et son variant sud-africain à 60 %, Mayotte, La Réunion où ça ne va pas bien, Nice préoccupant, et Dunkerque pas beaucoup mieux, variant anglais à plus de 50%, avec leur confinement du week-end en plus du couvre-feu, on ne parle pas trop de Paris, par pudeur sans doute, circulation virale en augmentation, vingt départements sous surveillance renforcée à qui on fait les gros yeux, attention pour le 6 mars, sinon on referme tout, vous voilà prévenus ! Un peu de positif dans ce sombre tableau : on vaccine la bonne tranche d'âge, les chiffres nous le disent, il y a toujours autant de morts de la Covid en ce moment, mais l'information rassurante, lénifiante, enthousiasmante même, c'est qu'ils sont plus jeunes. Expliqué un peu abruptement, ça peut choquer, mais à y regarder à deux fois, il y a de quoi se réjouir (enfin pas trop toutefois, on parle quand même de morts). C'est vrai, déjà qu'on ne vaccine pas vite, c'est une énorme consolation de se dire qu'on vaccine les bons, on a des chiffres qui nous placent parmi les meilleurs d'Europe, parce que judicieusement on a ciblé les plus âgés (les priorités, apparemment ça marche mieux pour les vaccins que pour les places assises dans l'autobus, c'est vrai, essaie un peu, dans le métro ou le tram, d'attirer le regard d'un lycéen assis tête baissée les yeux scotchés sur son smartphone, pratiquant une gymnastique des pouces, soucieux surtout de ne pas remarquer que tu es un croulant respectable (et vénérable, n'ayons pas peur des mots) et de devoir céder sa place et finir le trajet debout à ta place). Pour les tests, on est très bons aussi, plus que nous, il n'y a pas en Europe (je ne me prononce pas pour la Russie et les autres continents, en plus c'est gratuit, le résultat est juste garanti jusqu'à la sortie du labo, ça en rassure quelques uns, ça ne règle pas franchement le problème (avec un test négatif valable soixante douze heures, tu as trois jours devant toi pour contaminer la terre entière si tu es un peu dégourdi). Quand on comptabilise le nombre de tests effectués, on se dit que c'est certainement plus facile et rapide de produire et distribuer des tests que des vaccins, et en plus, ils sont en emballage individuel, pas en vrac comme les vaccins par flacons de dix ou de cinq (si tu ne gaspilles pas, tu en as six pour le prix de cinq, mais c'est encore en tractations discrètes). Bientôt, il y aura des vaccins pour tout le monde pour la mi-mai (en parlant de production et de livraison, j'ai noté le qualificatif de titanesque, j'ai mal noté la phrase, j'en rajoute probablement un peu, mais je crois qu'on peut parler de titanesque pour le foutage de gueule dont nous sommes victimes). Tester, alerter, protéger, maintenant qu'on dispose de tests salivaires à ne plus que savoir en faire, on va en faire profiter les enfants des écoles qui ne demandaient trop rien à personnes. Ils n'étaient pas trop propagateurs jusqu'à maintenant, on va quand même le vérifier (peut-être qu'ils ont découvert un nouveau variant : le variant scolaire qu'il faut vite éradiquer). En tout cas, le tracing (j'ai tracking dans ma musette, mais c'est tracing maintenant, on francise un peu, l'anglais n'a pas bonne presse en ce moment, on a bien traçage qui conviendrait, mais tracing fait incontestablement plus intellectuel), le tracing se déploie nous dit-on (très subrepticement il faut croire, on ne trouve pas beaucoup d'informations sur le sujet). Et puis le Ministre de la santé prend le relais (sans gel hydroalcoolique lui non plus, il est un peu crispé lui aussi) pour un point sur les vaccins, les traitements, cocorico il y a une usine en Alsace qui produit de l'interféron, mais bon, ça ne sera pas des grosses quantités, ce n'est pas pour tout le monde, c'est réservé aux quelques formes graves chez les sujets de plus de 80 ans avec trouble de l'immunité, tu vas encore devoir attendre un peu pour y avoir droit. Monsieur Vaccin s'y est mis aussi (peut-être pour fayoter, pour ne pas se singulariser, il n'a pas pris de gel non plus, ou alors c'est de la distraction, ou alors il n'y avait pas de flacon sur le pupitre) Les vaccins marchent bien en Israël, en Écosse l'Astra-Zénéca est efficace chez les plus de 65 ans, on en est sûr désormais, en France la Haute Autorité de Santé est saisie (ça peut prendre un certain temps, ce n'est pas lui qui le dit, c'est moi qui le précise avec regret). Un petit syndrome pseudo-grippal, mais seulement chez les plus jeunes, pas grave dit-il (parfois deux jours à 40°, une paille ! J'ai tort de rire, mais on voit bien qu'il fait tout pour le dédiaboliser son vaccin, il a fort à faire pour tordre le cou à la rumeur, c'est une époque où on n'a jamais eu tant d'informations rapidement, mais où on n'a jamais été aussi mal informés). Le Premier Ministre est alors reparti dans les banalités ronflantes (guerrières ?): mobilisation des ressources scientifiques médicales financières, nanani nanère. Échéance pour la fin du printemps, en attendant tenir tous ensemble (et pourquoi pas la ligne bleue des Vosges tant qu'il y est ? C'est vrai, on est un peu fâchés à cause de la Moselle qui ne peut plus travailler en Allemagne), adapter les mesures sans retard, transparence, vérité, fermez le ban ! Territorialisation est un mot devenu fort à la mode, ça tombe bien, il y a une vingtaine de départements qui se distinguent, ça va permettre d'éviter des mesures généralisées, on va faire du chirurgical (la dernière fois que j'ai entendu l'expression, c'étaient les américains qui parlaient de frappes chirurgicales précises à propos des bombardements au Vietnam, la comparaison est audacieuse, leur délicatesse et leur précision, n'ont pas été, dans mon souvenir un modèle du genre). Pour l'instant à son grand regret, s'il y a des mesures de restriction ciblées, à l'inverse on n'envisage pas trop des relâchements ciblés justement dans des territoires plus « paisibles », plus responsables ou plus chanceux. Pas question pour l'instant de lâcher la bride, déjà qu'on se demande pourquoi ça va bien, surtout on ne change rien. Il est resté grandiose (je le pense vraiment, souvent je me moque, mais là je le pense vraiment) en parlant de la répartition des doses de vaccin, « à destination des plus touchés ». Il faut dire que le processus est pour le moins alambiqué, plus personne n'y comprend rien, entre les endroits à nombreux demandeurs où il n'y en a pas assez, et ceux où les gens n'en veulent pas, et donc où il y en a forcément trop, et puis quand tu n'as pas l'âge, tu n'as pas l'âge, ce n'est pas ton tour, c'est réservé aux fragiles co-morbides, point final. Il a réussi à nous préciser que les vaccinations se font « à flux tendu », personnellement j'ai entendu les interviews de quelques médecins qui effectivement étaient très tendus devant les incohérences et les insuffisances du système de distribution : tu es médecin, tu es volontaire pour vacciner, tu t'inscris dans la pharmacie de ton choix le lundi, tu fais ta commande le lundi suivant, la pharmacie reçoit ton flacon de dix doses le lundi d'après (huit jours, ce n'est pas Chronopost) et le tient au frais à ta disposition, charge à toi de venir le récupérer avec ta glacière après avoir sélectionné dans ta patientèle dix volontaires (velléitaires à convaincre ?) âgés de 65 à 75 ans porteur de facteurs de risques à qui tu proposeras un créneau (tu feras attention d'en prévoir un ou deux de plus, pour ne pas gaspiller, c'est du surbooking comme pour les avions, ce n'est pas grave, les déçus, c'est à toi qu'ils feront la gueule, et fais attention à ton frigo, ça conserve mal, manquerait plus que tu injectes un produit périmé). Rassure-toi, le rapport que tu dois faire est assez court, et pour rendre compte, c'est simple et informatisé, c'est comme pour les impôts, si tu as la fibre c'est encore mieux. Une petite contrariété cependant, le personnel soignant est réticent, on perd du temps dans les établissements de soins à chercher qui veut bien qui ne veut pas. Ce n'est pas un fait nouveau, depuis longtemps la répugnance paradoxale de (beaucoup ?) de soignants au geste vaccinal est bien connue, ce ne sont pas ces vaccins tout neufs qui vont calmer le jeu, et le rendre obligatoire risque de mettre le feu aux poudres, ils risquent de se fâcher, ils sont un peu trop sur les nerfs en ce moment, s'ils se mettent en grève (même à la japonaise, avec un brassard), ça ne va pas faire avancer le schmilblick ! Et le discours se termine sur une note d'espoir (le fin politique sait qu'il faut toujours terminer sur une note d'espoir, ça ne mange pas de pain, ça aide à tenir, ça tombe bien, justement c'est ce qu'il faut) avec des idées d'expérimentations qui laissent entrevoir des ouvertures (des musées, moi les musées c'est surtout quand il pleut et que je n'ai pas de parapluie), des concerts assis ou debout avec des tests avant/après, des matches, et pourquoi pas des restaurants ? Moi, des restaurants expérimentaux, ça me va, il y a bien déjà des restaurants clandestins !

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