propice à un accroissement rapide, mais avec ce qui nous est arrivé, je suis
devenu con au delà de toute espérance, en toute majesté. J'assume avec
une parfaite résignation, puisqu'il n'y a pas moyen de faire autrement.
On m'a expliqué longuement que se laver les mains était la conduite à tenir, avec une solution hydroalcoolique de préférence (une solution qui tue le virus, qui n'est déjà pas un organisme vivant, mais comme on dit dans la marine « trop fort n'a jamais manqué »), mais avec un savon quelconque ça va aussi, ça tombait bien, du gel hydroalcoolique, il n'y en avait pas, et puis se laver les mains, c'est un geste banal mais trop peu souvent réalisé dans la vie courante, le remettre au goût du jour, ça ne peut pas faire de mal (avant la pandémie, par exemple, rares étaient ceux qui passaient par les toilettes avant de s'installer à table, au restaurant par exemple, et encore, pour les dames c'est plutôt pour un raccord de maquillage, un dernier coup d'oeil de contrôle au miroir, enfin, je présuppose, je ne vais pas souvent dans le coin des dames, ce serait mauvais pour ma réputation...).
La contamination virale qui nous concerne est pour l'essentiel aérogène, on l'a su très vite, les chinois ne nous le cachaient pas, j'aurais pu penser, sans grand mérite, à la chinoise justement, à l'utilisation profitable de masques. Mais l'important, nous a-t'on expliqué alors, la priorité des priorités était de se laver les mains. Ce n'était pas d'une évidence claire, je l'ai cru, sans grande conviction, mais je l'ai cru (j'étais déjà con, je n'y ai pas grand mérite).
La respiration, c'était mon métier, les masques et filtres en faisaient
évidemment partie. Sans grande illusion sur leur efficacité filtrante, conscient
toutefois de leur intérêt en tant qu'écran, je me suis laissé berner sur
l'indication de leur inutilité dans la population générale et sur l'intérêt qu'il y
avait à les réserver aux soignants qui avaient du mal à s'en procurer. C'est
vrai qu'un simple écran de tissu, c'est mieux que rien (même si ce n'est pas
grand'chose en réalité). Et, il y avait tellement de gens compétents,
pontifiants, suffisants, aguerris, experts en masques, bourrés de titres et
bardés de diplômes pour nous l'expliquer, à la radio, à la télé, je ne vous
parle même pas, pour l'anecdote, de ma concierge qui m'a aussi commenté
les masques, fière de son savoir, j'ai eu honte de ce que je savais (en 45 ans
de métier, j'ai surtout accumulé beaucoup d'incertitudes), je l'ai laissé dire, je
me suis laissé expliquer comment mettre correctement le masque (le masque
ne fait pas bon ménage avec la moustache, je n'ai pas osé lui dire, ce n'est
pas moi qui ai une moustache...), j'ai presque renié une partie de ma vie
professionnelle. Je vous l'ai déjà dit, j'étais con avant.
Pour les masques justement, là encore, je n'ai pas tout compris. Il y en
avait, mais plus beaucoup, ou alors ils étaient périmés, trop vieux (une
histoire d'élastiques qui n'étaient plus élastiques). Je ne savais pas que les
masques ça se périmait comme les yaourts, mais bon, on ne s'étonne plus
de rien, le lobby viticole a bien dû batailler un moment pour qu'il n'y ait pas de
date de péremption sur le vin ! On en a récupéré quelques uns (je parle des
masques) à la porte du crématoire où ils allaient être incinérés, qui étaient
encore un peu bons (ils ont eu chaud ceux-là! Et je me représente bien des
hordes de contrôleurs qualifiés en train de les récupérer un à un en fonction
de la qualité de l'élastique, quel beau métier !), heureusement, parce que
ceux qui devaient venir de Chine justement n'en revenaient pas, ou alors ils
faisaient si j'ose dire, le chemin à pied (avec la Chine, il y a des locutions fort
dangereuses, à éviter). On m'aurait caché des choses que ça ne m'étonnerait
pas, on m'a peut-être pris pour un con, bien que je m'en défende (mal).
La distanciation sociale, c'est français, mais ça fait partie du vocabulaire
de l'hexagonal moderne, c'est pour les élites parisiennes ou ceux qui pensent
en faire partie ou leur ressembler, ou cherchent à les imiter. La distanciation
sociale c'est un mot mal employé, en réalité, c'est « on n'est pas du même
monde, du même milieu, on ne se fréquente pas, on n'a pas élevé les
cochons ensemble !». La distanciation physique est certainement un terme
plus approprié, plus adéquat, j'ai entendu aussi distanciation géométrique,
correct aussi, mais plus rare. Un mètre c'est bien, un mètre cinquante a
fortiori aussi. Deux mètres, on n'ose pas y penser, et pourtant ce n'est pas
plus cher. Plus, c'est encore faisable, mais il y a des limites au ridicule (j'ai
rencontré des gens qui changeaient de trottoir pour ne pas me croiser, si ce
n'est pas pour le virus, c'est peut-être que je sens mauvais). Les grands
bretons et affines mesurent la distance de séparation en pieds, mais le
concept est le même au bout du compte. Le fait de ne pas vivre à touche
touche est une excellente précaution, j'y crois beaucoup (et pourtant je suis
con). Le brouillard de respiration que nous exhalons est le vrai vecteur de la
contamination (aérogène, je vous disais), il suffit de s'en tenir à distance.
Pour peu qu'il y ait un peu de ventilation, de courant d'air, avec la dilution, le
problème est vite réglé. Je ne m'inquiète donc pas trop pour les activités de
plein air. Les espaces clos (confinés, je n'ose plus employer le mot) sont
évidemment fort à risque, mais nos autorités n'auraient jamais pu priver nos
grosses agglomérations de transports en commun. On a beau tout vouloir
arrêter, il y a des choses qui doivent continuer à tourner... On est d'ailleurs
surpris par la rareté actuelle des résurgences de la maladie liées à ces
transports en commun. Est-ce que l'on ne se serait pas fait peur un peu plus
que nécessaire ? Loin de moi l'idée de critiquer les mesures prises, ils ont eu
peur, et j'ai eu peur aussi, je me suis plié aux mesures de confinement
(obligé!), mieux, j'y ai adhéré autant cela paraissait raisonnable.
Pour les tests, là encore je n'ai pas tout compris : mais pour ma
tranquillité d'esprit, je préfère croire qu'on ne m'a pas bien expliqué (une
question d'ego, probablement). Ne me prenez pas pour plus bête que je ne
suis, je sais au moins aussi bien que tout le monde (que ma concierge ?)
distinguer les tests sérologiques des tests dits PCR. Ce qui m'inquiète, c'est
leur fiabilité (sensibilité, spécificité, je peux vous faire une conférence là
dessus), alors que beaucoup les réclamaient à cor et à cri, arguant d'une
stratégie que je n'ai jamais bien comprise (je vous l'ai dit, j'étais con avant,
mais là, je n'ai toujours pas compris). On n'avait pas de masques, on n'avait
pas de tests, tout notre malheur venait de là, moi qui suis un peu simpliste, je
me demande encore pourquoi on a besoin d'un test pour soigner
convenablement quelqu'un du Covid 19 (si vous voulez faire snob, il faut dire
la Covid, mais ça ne change rien à ma question), surtout qu'il n'y a pas
d'autre traitement que symptômatique. Ce n'est pas avec des tests (même
fiables, si tant est, qu'on allait régler la question. Enfin, les tests sont arrivés,
il n'y a plus besoin de faire la queue dans la rue, ils sont arrivés on ne sait
pas d'où, mais ils sont là. Mais, pas de bol, la mode est passée, plus
personne ne veut se faire tester, les volontaires, il va falloir aller les chercher
à la fourchette à escargots, les désigner cas-contacts à coups de
smartphones pour réussir à en choper quelques uns, les isoler en
quatorzaine, les masquer. Sinon ces masques inutilisés, il va falloir les
stocker pour la prochaine fois, je ne sais pas s'ils ont une date de
péremption, m'est avis qu'oui (mais là, je déconne !)
Les écoles, c'est aussi un sujet de franche rigolade. Les
précautionneuses autorités qui nous gouvernent ont réussi à pondre un
protocole santaire de 60 pages (en tout petit) pour réexpliquer la vie scolaire
hygiénique à des gamins qui vont passer le temps à se laver les mains, qui
n'ont plus le droit de se rapprocher l'un de l'autre en classe ni en récréation,
qui sont éduqués et encadrés par des enseignants masqués, mais qui se
dépêchent de se retrouver, de se rassembler dès que la cloche a sonné, à la
sortie des classes. Mais je ne suis pas trop préoccupé pour leur
développement, la jeunesse a des facultés d'adaptation insoupçonnées, ils
trouveront leur épanouissement même avec l'école en pointillés qu'on leur
inflige (ils apprennent déjà l'anglais avec les chansons à la mode bien plus
qu'avec leurs cours).
Rien que de banal, me direz-vous, mais là où je me suis rendu compte
que le virus qui m'a rendu con avait fait beaucoup d'autres victimes, c'est
quand j'ai appris les recommandations imposées pour autoriser la reprise des
activités sportives. Je pensais qu'il y avait des limites infranchissables, mais
là, incontestablement on a doublé des caps inexplorés, on a atteint des
espaces vierges à défricher, il va être difficile de faire mieux, mais il ne faut
jurer de rien, les records sont faits pour être battus.
Si vous êtes fervent de tennis par exemple, vous ne devez jouer
qu'avec vos balles, ça ne facilite pas la rapidité du jeu, mais c'est encore
faisable, il faut juste ne pas se tromper, ça doit pouvoir se faire avec des
couleurs différentes, ou en les marquant, je ne suis pas pratiquant, mais ça
doit être jouable, pas facile, mais jouable.
Pour le golf, on a son matériel, qui ne se prête pas, on n'est pas à
proximité les uns des autres (ne serait-ce que pour éviter un coup de club
malencontreux sur un swing un peu ample), on ne touche que sa balle, et
encore selon des règles bien précises. Mais il faut surtout désormais ne plus
toucher au drapeau, ce qui va à l'encontre de toutes les règles établies.
Comment voulez-vous fait un putt convenable avec ce drapeau qui vous
nargue du milieu de son trou, alors que la religion golfique oblige de tout
temps à retirer le drapeau du trou ? (je crois savoir que toucher le poteau
avec sa balle en puttant entraîne une pénalité). Je ne suis pas vraiment
pratiquant non plus, mais j'en suis malheureux pour eux.
Pour la pétanque, ils ont fait fort aussi : des recommandations
méticuleuses édictées là aussi par des responsables fédéraux certainement
de haut niveau, et sous l'égide des autorités sanitaires les plus compétentes,
m'enjoignent (je cite textuellement) « de ne pas cracher sur mes boules ni sur
celles des autres » et de « ne tracer le cercle de départ qu'avec le pied ». Je
suis toujours content, à mon âge, d'apprendre des choses nouvelles,
d'enrichir mon expérience de la vie, il ne m'était encore jamais venu à l'idée
de cracher sur mes boules, encore moins de le faire sur celles d'un autre (en
plus, je suis maladroit, ce serait assez pour aboutir à un désastre). Je suis
con, mais je voudrais bien qu'on m'explique comment je pourrais me
contaminer rien qu'en traçant un cercle au sol autrement qu'avec le pied (pied
droit, ou pied gauche ? Rien n'est précisé à cet égard). Le texte me précise
que je n'ai pas le droit de me frotter le visage, mais ne dit rien (lacune ô
combien funeste !) sur une éventuelle envie de gratter d'autres endroits de
ma personne...
J'aimerais bien, à titre d'exemple, retrouver le nom de l'intellectuel
primesautier, imaginatif et astucieux qui a préconisé, au Ministère de la
Santé, ou à la Fédération de Pétanque la condition de ne tracer le rond
qu'avec le pied, il faudrait lui décerner une médaille de la lutte contre les
épidémies, il l'a bien mérité, il a ajouté sa pierre à l'édifice (il a ajouté une
baleine au parapluie ?)
Le clergé a annoncé la reprise des messes, enfin ! Il y aurait beaucoup
à dire à ce sujet du point de vue des libertés, c'est trop sérieux pour que je
permette d'en ricaner. On a failli ne pas pouvoir accompagner la famille lors
des funérailles d'un ami en raison de précautions importantes et illusoires, les
autorités ne savent plus quoi inventer pour ouvrir le parapluie et ne pas être
considérées responsables d'un éventuel désastre. On établit des listes de
présence pour un éventuel traçage, c'est vrai pour la messe, ça l'est aussi
pour la pétanque (pour marquer le gibier avant la chasse au cluster ?).
Quand je pense qu'il y a des ordinateurs qui vont surchauffer avec des listes
de présence à la messe ou à la pétanque, et qui vont pouvoir déterminer si
j'ai été contaminé à la messe ou sur le terrain de pétanque, je me sens fier de
faire partie de l'espèce humaine, mais je me sens (un peu ?) con aussi.
Mon attitude actuelle consiste à me moquer de ceux qui ont conçu et
réalisé la ligne Maginot ; s'il en a envie, comme en 40, le virus fera le tour (et
ce n'est pas parce que j'aurai fait le rond avec le pied que ça l'empêchera de
passer). Quant à la chasse aux cas-contacts, c'est une douce illusion, si on a
une nouvelle vague, ce n'est pas cela qui l'arrêtera. Pour l'instant, on a un
virus de bonne composition (si j'ose dire).
Tout ça pour dire que le virus, comme je l'annonçais dans le titre, m'a
rendu con, mais il est très contagieux, je pense qu'il a fait beaucoup d'autres
victimes...
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