mercredi 18 novembre 2020

Chronique de Charles : Dimanche dernier

On vit une époque intéressante, à plus d'un titre, et qui plus est sans sortir de chez soi (ça tombe bien, avec le confinement ça n'est pas aussi facile, il y faut le papier qui va bien, la bonne case, la signature, quand je suis allé en Chine ce n'était pas beaucoup plus compliqué, il n'y avait que la prise des empreintes digitales en plus) : 
Il y a quelques années déjà, c'était un après-midi de beau temps, j'ai traversé la rue, devant chez moi, à Tourcoing, pour changer de trottoir. Rien que de très ordinaire me diras-tu, rien de palpitant, pourquoi me saoules-tu avec des banalités, bientôt tu vas me raconter la chute des feuilles mortes en automne. Attends, j'y arrive ! Si j'ai traversé, c'est parce que le trottoir était encombré : un type avait ouvert la portière de sa voiture rangée le long du trottoir, comme c'était un coupé, ça prenait un peu plus de place (tu as bien dû remarquer ça, les portes des voitures du type 2 + 2 sont un peu plus grandes, normal, il faut bien que le passager arrière puisse y accéder, aux places arrières, après avoir plié le siège avant, du coup l'ouverture est plus grande, et la porte subséquemment), le gars en question devait être un peu sans gêne et ne pas beaucoup de préoccuper d'autrui, rien d'extraordinaire, il y en a beaucoup des comme ça (tu l'as forcément observé aussi, il y a des gens qui, sur le trottoir trouvent toujours le moyen de tailler un bavette à l'endroit le plus étroit du passage, je dis sur le trottoir, mais c'est aussi dans le sas d'entrée de l'immeuble, ou devant l'ascenseur, juste à l'endroit où ça gêne un max), il avait étalé un petit tapis juste au niveau de l'intervalle restant entre la porte ouverte de sa voiture et le mur voisin, un peu en biais dans le sens de la marche. Soucieux de ne pas marcher sur le tapis, qui me paraissait bien propre, et en grommelant devant l'inconvenance de ce malotru, j'ai traversé sans plus d'arrière pensées, il y a quand même des gens bizarres me suis-je dit. Par curiosité, un coup d’œil jeté par dessus l'épaule, je vois l'individu se mettre à quatre pattes. Déclic ! J'ai le cerveau lent, j'étais à mille lieues d'y penser, c'était un de ces musulmans « prieurs de rue », comme on disait à l'époque (il y a plus de dix ans maintenant, on en a vu moins par la suite, puis plus du tout) qui protestaient contre le manque de lieux de culte ou leur trop petite taille. Moi qui suis relativement indulgent (mais il ne faut pas trop me chercher non plus), assez large d'idée (même remarque), tolérant en diable, laïc par principe, mais sans intégrisme, bienveillant même (quand je m'applique sérieusement, parce que la bienveillance, ça n'est pas forcément inné, ça demande de l'entraînement, il faut se muscler le haricot, il y a tellement de gens qui t'y courent dessus, parfois innocemment, par mégarde, certains plus pervers, intentionnellement, en prenant des risques parfois), je me suis intérieurement réjoui d'avoir, même sans le faire exprès, évité une situation conflictuelle qui aurait pu dégénérer, j'aurais pu marcher sur son tapis, j'aurais eu l'air de provoquer alors que je ne le souhaitais vraiment pas (pacifique, je te dis). Avec le recul, de sa part, c'était manifestement une provocation, je l'ai ignorée, je n'y ai pas grand mérite, c'était incidemment, sans calcul, c'était même plus par inadvertance que par grandeur d'âme, il a dû être déçu. C'est une anecdote assez banale en somme, mais toute occasion d'enrichir ses connaissances étant bonne à saisir, j'en ai retenu « a retro » la notion somme toute assez sommaire et sans grand intérêt que ça s'était passé un vendredi, et, tout aussi anodin mais plus surprenant, que la rue de Dunkerque à Tourcoing était, ce qui ne saute pas aux yeux à première vue, à peu près orientée en direction de la Mecque dans le sens ouest-est, ce qui me fait, par ailleurs, une belle jambe. Que la rue de Dunkerque pointe vers Dunkerque ne choquera personne, que dans l'autre sens elle indique La Mecque est plus surprenant quoique pas forcément significatif. Je l'aurais plutôt pensée axée plus sud, vers Tamanrasset, en souvenir d'une révolue France Gaullienne. 
Dimanche dernier donc, j'étais confiné, comme beaucoup de gens raisonnables, je ne m'en plains pas, je respecte simplement les consignes gouvernementales, j'ai pu voir sur les chaînes d'actualités en continu (la télévision reste parfois allumée en fond sonore, c'est une mauvaise manie, mais ce n'est pas maintenant que je vais chercher à m'en corriger, à mon âge les plis sont pris, je n'ai plus d'enfants à la maison à qui montrer le bon exemple, je me lâche un peu) des scènes du même ordre que ce que je viens de te raconter et dont la mémoire m'est revenue à cette occasion : des gens debout dans la rue, devant le parvis de leur église, protestant de l'interdiction des messes et pratiquant leur religion en plein air, certains même à genoux (et sans tapis !). Mes notions sur la liturgie étant sommaires (j'ai été, dans mon jeune temps, encore plus mauvais au catéchisme qu'à l'école, j'y ai même redoublé, c'est dire, et, en outre, j'ai un peu oublié depuis), j'ai été incapable devant ce reportage de déterminer s'il s'agissait d'une messe en plein air, et si elle était autorisée (je ne sais pas non plus si l'interdiction ne porte que sur les lieux clos, c'est le même problème mal défini que l'amalgame confinement-couvre-feu). Mais là n'est pas franchement la question (il y a des critères pour qu'un office soit « validé », je les ai oubliés). Ce n'est pas tant que les églises soient fermées et interdites, elles restent libre d'accès à titre individuel, c'est l'interdiction de célébrer les messe qui est en cause pour ces croyants protestataires, mais au demeurant fort pacifiques. Déjà lors du confinement précédent, le Conseil d'État avait enjoint au gouvernement la reprise des messes, les mêmes causes reproduisant les mêmes effets, on ne voit pas bien ça pourrait se passer autrement. Des négociations seraient en cours, histoire vraisemblablement de ne pas perdre la face, leur aboutissement ne me préoccupe pas trop, je ne suis vraiment, comme on dit, qu'un dévot à gros grain. J'aurais une tendance peut-être regrettable à faire passer l'aspect matériel et sanitaire du moment avant le spirituel, si important soit-il. On a les jugements de valeur qu'on peut, l'important, c'est de ne tuer personne pour ça. 
Dimanche dernier, ce parallélisme entre la situation présente, aussi grave et préoccupante qu'elle paraisse à certains, et l'anecdote que j'ai rapportée m'a fait sourire, sans moquerie, sans frivolité, toutes les convictions tolérantes sont respectables, et la liberté de pratiquer est une des belles conquêtes de notre République, parmi tant d'autres. Mais c'est justement le télescopage entre les nécessités sanitaires et le besoin du réconfort de la religion et de sa pratique qui m'amuse. Je pense, probablement à tort, et peut-être parce que je suis irrémédiablement devenu un mécréant, que ce n'est pas bien grave, et donc, ça m'amuse, mais sans excès, je ne me moque pas vraiment, je relativise paisiblement. 
Dimanche prochain, ou celui d'après, à Pâques, ou à la Trinité, je souhaite sincèrement que ceux et celles qui le veulent puissent retourner à la messe (avec des coussins sous les genoux, en option : je me souviens, dans ma toute petite enfance, des chaises personnelles sur lesquelles on n'osait pas s'asseoir, avec leur petite plaque nominative en cuivre, et des petites vieilles tout en noir qui venaient aux offices avec leur coussin, c'est avec le recul de l'âge que je me permet cette analogie souriante avec le tapis de prière). Pax in terra hominibus bonae voluntatis

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