Je bée d'admiration devant ces champions de la pédale, ou plutôt, pour
éviter toute ambiguïté, ces champions du pédalage. Il y a eu, et il y a toujours
des grands de la petite reine, légendaires, il suffirait de consulter les annales
du Tour de France, entre autres, si l'on en doutait, et même si la dernière
édition s'est jouée en catimini, virus oblige. On peut leur tresser des lauriers,
ils le méritent, mais il ne faudrait pas oublier une autre catégorie d'athlètes de
haut niveau qui ne déméritent pas, et qu'on oublie injustement d'inscrire au
tableau d'honneur.
Le panégyrique serait en effet incomplet s'il ne faisait état de notre
vaillante équipe gouvernementale de rois du pédalage dans la semoule,
toutes catégories confondues. Cette discipline encore non olympique (mais
dont on ne désespère pas qu'elle le devienne, car elle remplit beaucoup des
critères souhaités pour obtenir l'agrément) a acquis récemment ses lettres de
noblesse, eu égard à la qualité des prestations fournies dernièrement :
Déjà, le confinement à nouveau instauré, qui indubitablement en est un
sans en être vraiment un, qu'à force d'être soft, light, adouci pour être plus
supportable et acceptable, il ne ressemble plus du tout à son frère aîné, qu'il
y a tellement de monde dehors que bientôt tu sens que vas devoir demander
une dérogation si tu veux rester à la maison, n'apparaît pas plus contraignant
que ça (on ne va pas s'en plaindre, ce n'est pas là qu'est le problème), mais
ne force pas à une nette diminution des interactions sociales, et par
conséquent n'entraînera pas ipso facto de régression du niveau des
contaminations virales, ce qui est pourtant l'objectif principal. S'y surajoute
plus ou moins, mais seulement dès qu'ils s'en seront mis d'accord (et à ce
qu'on en sait, ce n'est pas encore franchement le cas) la contrainte d'un
couvre-feu (je n'ai pas cherché où en sont les textes, est-il supprimé ? Est-il
conservé et/ou remis en vigueur ? Les informations à ce sujet restent
imprécises, voire contradictoires, même en provenance des plus hautes
sphères, ces hautes sphères qui ne semblent pas tourner très rond, elles se
sont un peu ovalisées, il faudrait un rééquilibrage). Je ne le cite que pour
mémoire, ce couvre-feu, je m'en fous un peu, sauf urgence médicale
malvenue et imprévue, je ne prévoyais déjà pas beaucoup de sorties dans le
créneau horaire interdit. L'équipe dirigeante (nos pédaleurs dans la semoule
en l'occurrence) s'est aperçue avec surprise, comme s'il ne fallait pas s'en
douter un peu, que des commerces de nécessité (nécessité encore mal
définie) restaient ouverts jusque tard dans la nuit, en tout cas plus que de
nécessité, ce qui va évidemment à l'encontre du but recherché : on peut, à
l'heure où j'écris, aller acheter ou se faire livrer 2 sous de moutarde à 3
heures du matin, c'est une vieille expression, je n'arrive pas à en trouver de
moins désuète, ni à trouver une conversion convenable en euros (cent sous
valaient un franc, attention, du temps des anciens francs, d'avant 1960, fais
toi-même le compte !). Ils n'avaient pas prévu que leurs textes seraient
interprétés au pied de la lettre, ils ont compté à tort apparemment sur notre
bon sens et notre civisme, c'était un pari qu'il ne fallait pas oser. En
conséquence, ils en sont réduits à repréciser leurs intentions, et aussi à
définir plus précisément le champ d'application de leurs injonctions, dans
l'attente impatiente du « frémissement » des courbes.
Pour les étudiants, c'est pratiquement acté, ce sera un enseignement
sur écran, ils perdent un peu en folklore, ça peut tout de même le faire, mais
s'il faut, comme on dit, mettre la main à la pâte, pour des gestes techniques
par exemple, c'est déjà plus ardu. Pour les lycéens, même technique, mais
branchée sur l'alternatif, tu ne vois ton prof en vrai qu'un jour sur deux, tu
restes masqué, mais tu es habitué, maintenant que tu le fais depuis tes six
ans, et si le confinement dure un peu, tu apprendras à porter le masque dès
la maternité. C'est juste un peu ennuyeux pour les photos de classe. Pas
certain que tout ça diminue significativement les interactions sociales. Tu
auras beau faire de la ségrégation en récré et à la cantine, à la sortie des
écoles il y a et il y aura aura toujours des attroupements néfastes.
Le télé-travail est hautement souhaitable, il est à privilégier (dixit le
Président). C'est bien beau de le dire, mais il n'y a aucune véritable obligation
à le faire, le chef d'entreprise est encore un peu maître chez lui, même si tu
peux lui évoquer éventuellement la menace voilée de l'inspection du travail,
le droit du travail et tutti quanti. Ça ne fait pas non plus l'unanimité chez les
intéressés eux-mêmes qui préfèrent parfois l'ambiance paisible et studieuse
d'un bureau à l'encombrement bruyant d'un appartement exigu. De ce fait, ce
n'est qu'un vœu pieux, un peu comme la limite de six convives à la maison
qu'on peut juste te prier gentiment de respecter. La Ministre en charge faisait
encore les gros yeux récemment pour montrer qu'elle était fâchée du peu de
cas qu'on faisait de l'invitation présidentielle, qu'elle transformait hardiment en
injonction.
La dessus intervient la querelle petits détaillants versus grandes
surfaces, la grogne qu'on avait subodorée précédemment (apparemment la
fragrance n'en était pas suffisamment intense lors du premier confinement)
s'est enflée démesurément, au point d'inciter des maires, gens pour la plupart
fort raisonnables, à fronder, et à autoriser des ouvertures de commerces
immédiatement déclarées illicites, ça renforce l'impression de pagaille,
d'amateurisme. Il y a incontestablement des gens qui ont du flair dans cette
équipe, probablement qu'ils pédalent, certes dans la semoule, mais aussi le
nez dans le guidon, ce qui certainement les empêche de sentir le vent. Les
libraires et les marchands de jouets se plaignent des disparités de traitement,
les sex-shops en fermeture administrative, estimant la concurrence déloyale,
protestent de la même façon que les commerces de fruits et légumes
puissent, inégalitairement à leurs yeux, rester ouverts, évoquant une
concurrence déloyale, les parfumeurs s'y mettent à leur tour. Et nous voilà
embarqués à leur suite dans cette discussion oiseuse à propos des produits
de première nécessité, dont on n'est pas près de sortir (enlisés dans la
semoule !). Moi, le fard à paupières du rayon hygiène et beauté, je ne le sens
pas comme très utile, personnellement, je n'en ai pas franchement l'usage,
mais je comprends qu'il soit nécessaire à toute femme soucieuse de plaire,
d'autant plus qu'avec le masque le regard prend plus d'importance, par contre
j'aime bien l'idée qu'il reste accessible (le rayon), parce qu'il propose aussi du
fil dentaire, j'aime bien le veau, mais ça laisse des fibres dans les dents, et
c'est agaçant tant que tu ne les a pas enlevées, tu le ressens, ce fil dentaire,
comme une nécessité première.
Le click n'collect est aussi une option permise tout à fait louable (le
double objectif sanitaire et économique est atteint), astucieuse même pour
ceux qui savent s'adapter, qui permet l'activité économique en restreignant
les contacts sociaux. Que demander de mieux ? Pas toujours simple. Je vois
d'ici le marchand de glaces sur son site internet, tu commandes, il te la
prépare, si tu traînes un peu à venir la chercher (à cause du couvre-feu ?),
elle a fondu, et il se retrouve chocolat (et pourtant tu avais demandé fraise)
Tu me rétorqueras, je te vois venir, que ce n'est pas la saison des glaces, je
te réponds « Patience, on en sera toujours-là l'été prochain ! ». Je pense que
ton glacier peut installer le Wi-fi dans son camion, c'est un bon
investissement, il va le rentabiliser sur le long terme.
La même question lancinante que lors de l'épisode précédent se pose à
nouveau. « Quousque tandem ? » [c'est du latin, pour faire croire que j'ai de
la culture : c'est de Cicéron qui se demandait combien de temps l'autre allait
se foutre de sa gueule et continuer à taper dans la caisse]. Jusqu'à quand ? Il
n'y a pas de réponse précise à cette question, je le sais pertinemment, ils le
savent tous aussi, pourquoi donc ne se mettent-ils pas d'accord pour le dire
d'une même voix, à l'unisson ? On entend tout, à une époque où l'on ne veut
plus rien entendre, pourquoi n'accordent-ils pas leurs violons, à un moment
où on voudrait s'appuyer sur un peu de certitude ? J'ai entendu parler, surtout
par les médias (je n'ai pas beaucoup de contacts en ce moment), de couacs,
de cacophonie, on voit bien que nos décideurs font des choses,
vraisemblablement à bon escient, on a malheureusement l'impression (peut-
être fausse, ce sont les journalistes qui sont impitoyables) d'une agitation
brouillonne, un peu désordonnée, un peu stérile peut-être. La période ne leur
est pas favorable, c'est le moins qu'on puisse dire, entre virus et terrorisme,
ils ont de quoi se payer quelques nuits blanches. Mais j'ai confiance, à force
de remuer comme ils le font en ce moment, ils acquièrent incontestablement
de l'expérience et du savoir faire, ils ne pédaleront peut-être pas autant dans
la semoule lors de la prochaine vague.
NB :A l'origine, l'expression viendrait des premiers Tours de France où la voiture balai était
« sponsorisée » par une marque de choucroute. Les coureurs qui abandonnaient étaient
récupérés par cette voiture « ils pédalaient dans la choucroute ». L'expression a dérivé
vers le yaourt, pour aboutir à la semoule (du couscous), passant donc des pays baltes au
pourtour méditerranéen. Je ne pense pas qu'il faille y voir une sournoise et rampante
influence islamiste radicalisante...
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