lundi 12 avril 2021

La Chronique de Charles : Jours sans fin.

J'ai eu l'occasion de séjourner en Suède naguère, et d'apprécier (modérément toutefois) la longueur démesurée des aurores et des crépuscules. Plus les crépuscules que les aurores d'ailleurs, mais c'est uniquement dû au fait que je suis un lève-tard, les couchers de soleil ont lieu à des heures raisonnables, s'il faut « mettre le réveil » pour admirer le lever du jour, tu trouves forcément moins d'amateurs, s'extasier à trois heures du matin, il faut vraiment que ça vaille le coup, je ne prends pas le pari pour un lever de soleil, je préfère cantonner mon sens esthétique à des horaires plus confortables. Je me suis laissé dire que c'était dû à la latitude, et au fait que la terre soit ronde, je ne t'explique pas tout, j'en suis incapable, j'étais nul en cosmologie, je te l'ai déjà dit, et je n'aime pas insister sur mes carences, une question d'amour-propre je suppose. 
Plus récemment, j'ai franchi pour quelques jours le cercle arctique dans les eaux norvégiennes (pas vraiment dans les eaux, mais sur un bateau, un bateau qui lui était vraiment dans les eaux norvégiennes puisqu'il faut tout t'expliquer) (ce franchissement de cercle, c'est comme pour la vaccination, je n'ai rien senti, ça ne m'a rien fait), heureusement qu'on me l'a dit, je n'y aurais pas prêté attention, sauf que pour le coucher de soleil, tu peux faire une croix dessus, il n'y en a plus, quand tu n'as pas l'habitude tu pourrais penser que c'est une blague, mais non. Le soleil refuse de se coucher, il repart pour un tour, et donc pour une autre journée, si tu es paresseux comme moi, il y a de quoi déprimer, il n'y a pas eu de nuit, tu n'as pas dormi, c'est épouvantable en fait, tu ne peux pas te reposer décemment. L'explication du phénomène (si on peut appeler ça un phénomène) qui se produit régulièrement, c'est que la terre penche, ne me demande pas de quel côté, mais elle penche incontestablement, il y a des tas de gens sérieux qui te l'expliqueront mieux que moi, des bouquins savants aussi, c'est vraisemblable cette idée que la terre est ronde et qu'elle penche, je me suis fait à l'idée. D'ailleurs tu ne peux pas trouver un globe terrestre qui ne soit pas penché, ça te prouve bien que tout le monde est d'accord là-dessus. 
Là où je voulais en venir, après ce long (et instructif) préambule, c'est à cette impression de jour sans fin que nous renvoie la situation actuelle. Tu entends le Premier Ministre, et tu te demandes si c'est du direct ou si c'est un replay du discours de la fois d'avant, ou de celle encore d'avant. Pour le ministre de la santé, c'est la même chose, les interventions sont toujours les mêmes (en gros), il n'y a que la cravate qui change. Pour le Président, c'est encore plus difficile de distinguer le neuf de l'ancien (pas le Président, le discours), peut-être les plis du drapeau arrangés différemment, le bleu du drapeau européen m'a paru un peu plus vert-jaune que lors du discours précédent (mais c'est peut-être ma télévision qui vieillit mal, ou simplement un réglage qui a bougé...), les mêmes mots, pas de vraie surprise, patience, on va y arriver... 
La réalité déprimante, c'est que le discours officiel s'étiole, s'affadit, il n'y a rien de nouveau à dire, mais il faut le faire pompeusement (déjà on n'écoute que d'une oreille, si ça ne faisait pas sérieux, on n'écouterait plus du tout). En résumé, je te résume les infos ressassées des quelques jours précédents, et ça peut le faire pour les jours à venir, ça t'évitera le rabâchage sempiternel que nous subissons régulièrement : 
- Les hôpitaux sont pleins, il faut de la place pour les autres malades aussi, sinon perte de chance, et les médecins vont devoir trier, mais on répugne à l'idée de le faire et encore plus de l'avouer. 
- Les réanimations sont saturées, on va devoir pousser les murs, mais armer des lits c'est surtout trouver du personnel compétent, et il n'y en a pas, et ça ne se trouve pas d'un claquement de doigts. 
- On vaccine de plus en plus de gens, la preuve c'est qu'il y en a toujours plus que la veille, et il y a toujours moins de personnes qui ont reçu deux doses que de bénéficiaires d'une seule dose (là, on enfonce des portes ouvertes, si tu veux faire plus sérieux, tu dis tautologie, truisme, mais lapalissade fait bien aussi). 
- Le rythme des vaccinations s'accélère de jour en jour, mais les livraisons de vaccins ralentissent (là, il faut m'expliquer, je ne comprends pas tout, mais je n'étais déjà pas fort en maths à l'école, ceci explique peut-être cela : entre les promesses, les commandes, les livraisons et les retards, je mélange tout et je ne m'y retrouve plus dans les chiffres. M'enfumerait-on ? Je ne peux pas le croire). 
- Les vieux sont presque tous vaccinés, c'est pour ça qu'ils ne meurent plus (c'est un raccourci un peu hardi, mais à mon âge avancé [il ne faut exagérer non plus, j'ai un âge certain, sans plus, avancé ça fait trop mûr, voire blet, avancé ça fait rance, sûr, avec un peu de moisi, je n'en suis pas là, pas encore], ça me fait plaisir de le savoir, j'ai toujours un peu de mal à l'idée de devoir mourir).
- Les gestes barrières sont plus que jamais nécessaires (mais la consommation de gel hydro-alcoolique est en chute libre, les commerces ne t'en proposent plus, les masques sont souvent sous le menton). 
- Tu ne sors pas de ton département, ou alors il te faut une vraie bonne raison (mais c'est seulement pour après le week-end pascal, pour l'instant c'est comme ça t'arrange). 
- Le télé-travail, faudrait l'intensifier, mais on se heurte à des réticences, façon pudique d'expliquer qu'il y des gens qui n'en veulent carrément pas et qu'on ne peut pas les y contraindre. 
Les nouveautés du moment nous promettent un peu de diversité, de distraction : 
- Toute la France à la même enseigne, ce n'est plus le moment de faire dans la dentelle, la territorialisation a vécu (tant mieux, c'est un mot qu'on a du mal à prononcer),(ça ne change rien pour ceux qui étaient déjà sous « surveillance renforcée », j'ai oublié la couleur, mais ce n'est plus important non plus, tout le monde pareil, dans un grand souci d'équité républicaine). 
- Les écoles sont fermées pour des vacances dont les dates vont et viennent (les vacances par zones ont été instaurées il y a longtemps pour le ski, mais là, il n'y a plus de ski non plus, ou plus exactement tu peux descendre, mais pas remonter mécaniquement, pour le coup c'est très sportif mais moins amusant) : au retour, ça remarchera branché sur l'alternatif, un coup il y aura école, le coup suivant, il n'y en aura pas. Sauf pour les plus petits qui ne comprendraient pas, et qui n'ont pas de tablettes pour des coloriages « en distanciel ». 
- Les enseignants vont pouvoir se faire vacciner en priorité (dès qu'il y aura des vaccins, les commandes sont passées et les livraisons sont promises). 
Rien qu'avec le résumé du paragraphe précédent, tu vas pouvoir vivre trois semaines sans écouter les informations journalières. Il n'y aura rien de nouveau, enfin de sérieux, avant le pic de cette vague qu'on nous prévoit avec beaucoup d'optimisme pour dans quinze jours. Tout le reste ne va être que fait divers, et autres chiens écrasés. 
J'ai comme l'impression pour ma part que ce pic va être un plateau qui va nous paraître long, très long, trop long. Les jours sans fin ne font que commencer. On entre dans une période d'attente monotone, c'est comme le scénario d'une catastrophe annoncée, il y a même un film qui raconte une histoire répétitive du même genre, on s'habitue un peu à la fois à l'idée, on se résigne, on baisse un peu les bras, il y en a bien quelques uns pour gesticuler, protester à l'injustice, à l'incompétence, mais c'est juste pour dire de manifester, de fulminer un peu (il y en a que ça soulage), les autres se blasent peu à peu, se résignent à une morne apathie. 
Jours sans fin qui se répètent sans accrocs, sans faits marquants, on fait une croix sur le calendrier pour se rappeler le jour présent, même Pâques n'est pas arrivé à vraiment nous sortir de ce marasme intellectuel, et pourtant, Pâques ce n'est pas rien, même si tu es un mécréant, entre les œufs cachés par les cloches, le lapin et autres traditions païennes, il y avait de quoi se réjouir avec les petits enfants que tu n'as plus le droit ni l'envie de voir. Les jours s'allongent sensiblement, les nuits raccourcissent, normal, c'est pour ça que Pâques tombe à l'équinoxe de printemps (à cause de la terre qui penche, elle tourne et elle penche, je te l'ai déjà expliqué tout à l'heure, pas de ma faute si tu ne comprends pas ! Tu peux toujours aller t'intéresser au calcul de la date de Pâques, ça va te prendre un moment, de quoi te distraire dans ton ennui corrosif et malsain). 
Et puis quelques faits divers émergent de cette morose monotonie, juste de quoi sourire (jaune souvent, mais sourire néanmoins) : Il y a encore beaucoup de gens qui cherchent des vaccins, mais il y a aussi des vaccins qui cherchent preneurs, des vaccinodromes boudés plutôt que bondés, il faudrait qu'ils organisent comme qui dirait une bourse aux échanges pour arranger les uns et les autres. Les militaires vont entrer dans la danse, ça sera peut-être plus sérieux, on peut au moins l'espérer, ils prévoient des cadences de vaccination époustouflantes, mais auront-ils les munitions à la hauteur de leurs ambitions et objectifs ? Il y a aussi des gens qui organisent des repas et des fêtes clandestines, histoire probablement d'égayer ces jours sans fin, et des journalistes dénonciateurs qui font mine de s'en offusquer après avoir fait semblant d'en être surpris (mais c'est seulement du « remplissage télé », c'est pour l'audience, et puis aussi un peu pour hurler avec les loups), il y a même des messes non pas clandestines, mais juste un peu séditieuses quand même, le goût suave du fruit défendu peut-être, la tentation irrésistible du partage du péché en commun ou encore la nostalgie du sacrifice collectif des premiers chrétiens, toutes proportions gardées (tu risques au maximum une petite amende sauf absolution ecclésiastique, c'est sûr que c'est plus cool aujourd'hui que du temps de Néron et des persécutions, quand il y avait les lions...). 
Quand c'est fini, ça recommence, en boucle, vaccins, effets secondaires, on attend le pic, il fait froid, les bourgeons gèlent, que fait le gouvernement ? Quand retrouvera-t-on la vie d'avant ? C'est sans fin, te dis- je...

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