lundi 31 mai 2021

La Chronique de Charles : Vaines altercations.

L'autre matin, je suis tombé, bien malgré moi, sur une dispute de cour de récréation. Le ton montait, je me suis inquiété certainement à tort, c'était assurément à propos de peccadilles, ils allaient peut-être en venir aux mains, je ne souhaitais certes pas m'interposer, par les temps incertains qui courent, il y a facilement des coups de couteaux qui se perdent, je n'aurais pas voulu faire partie des dégâts collatéraux (remarque bien, devant la télé je ne risque pas grand chose), et puis comment le dire humblement et sans honte, la témérité n'est pas mon fort, je sais donner mon point de vue, mais si c'est pour prendre des coups non merci, je suis un peu trouillard, pas franchement pleutre non plus, mais comme on dit par euphémisme, le courage ne m'étouffe pas (Brassens le chante intelligemment beaucoup plus poétiquement « mourir pour des idées, oui mais de mort lente ! ») les menaces à peine voilées se sont précisées, elles ont pris carrément un tour officiel, diffamation, abus de pouvoir, intimidation, elles se sont judiciarisées comme on dit maintenant. Les tribunaux en perspective, ça vaut mieux que les voies de fait, l'affaire était certainement grave, mais pas apparemment au point de vouloir faire couler le sang, tout allait donc se régler sur les bancs du prétoire plutôt que sur le pré. Les avocats appelés en renfort ont contr'attaqué avant même que les plaintes ne soient déposées. On ne savait plus bien de quoi on allait accuser l'autre partie, la querelle faisait long feu en définitive.
Dommage ! Ça m'a rappelé les défis de mon enfance, les compétitions viriles (à huit ans, le qualificatif est un peu fort, mais comment parler autrement de ces concours à qui pisserait le plus haut, on avait même le droit de sauter (mais ce n'est pas très facile, sans élan). C'était une école de garçons à l'ancienne, pas moderne et pas mixte comme maintenant, tu ne peux plus organiser une compétition de ce type à la régulière (il y a des filles désormais : de mon temps, c'était comme dans la Grèce antique où les athlètes, uniquement des hommes pratiquaient la compétition nus et où les olympiades étaient strictement interdites aux spectatrices), pour chaque performance homologuée on notait la date et un repère à la craie (chipée au maître) sur l'ardoise (le beau panneau d'ardoise des installations sanitaires). Je me souviens encore avec nostalgie, heureux âge, qu'il fallait parfois se faire aider pour pouvoir inscrire bien haut les plus belles prestations au palmarès. Maintenant, l'âge venu, je fais plutôt attention, nostalgiquement, de ne pas mouiller mes bottes. 
Et puis la tension est retombée dans la cour de récréation, aussi rapidement qu'elle était montée, les adversaires se sont presque rabibochés, ils n'avaient pas vraiment dit ce qu'ils avaient dit, les mots n'avaient donc pas dépassé leurs pensées, ils n'avaient aucune raison de les réfuter, ils avaient bien dit ce qu'ils avaient dit en définitive, ils ne sont pas partis bras-dessus bras-dessous (il ne faudrait pas exagérer non plus, c'était une trève, voire une paix armée, ce n'était pas une procession d'Enfants de Marie), mais ils ont promis de se retrouver pour en reparler posément, même s'ils ont beaucoup de points de convergence, ils ne sont pas franchement d'accord sur tout. 
Ce que je t'ai décrit ici, ce n'est pas un énième épisode de « La guerre de boutons » (admiratif, je me sens incapable seulement d'imiter le talent du grand Louis Pergaud), non, c'est un épisode conflictuel puéril entre grandes personnes, majeures et vaccinées (je le suppose, mais c'est juste pour la formule un peu surannée, on ne peut plus être sûr de rien en cette période de promotion vaccinale, une ou deux doses ? Et à quelle date ? Où est le QR code ?). Deux adultes responsables donc (au moins un des deux est ministre d'État, que l'on peut raisonnablement penser responsable (ou alors c'est que je me fais des idées sur ceux qui nous gouvernent), et l'autre qu'on ne peut pas non plus suspecter de ne pas savoir toujours parfaitement ce que parler veut dire) qui se sont indubitablement comportés l'un et l'autre de façon pour le moins légère, peut-être à cause de nerfs mis à vif en raison d'un contexte électoral qui s'électrise doucement.
Autant t'y faire tout de suite, la campagne électorale a démarré sur les chapeaux de roue (belle expression imagée mais désuète, il y a belle lurette que les roues d'auto n'ont plus de chapeau [je te le mets au singulier, normalement, quand tout va bien (le sujet s'y prêtant, il vaudrait mieux dire quand tout roule), c'est un chapeau par roue, mais si tu veux absolument un pluriel, je te mets un « x » de côté, tu me le rendras quand tu auras fini], maintenant si tu n'as pas de jantes alu au lieu d'enjoliveurs, tu passes pour un ringard, mais le gros avantage en contre partie, c'est qu'on n'a pas envie de te les piquer, et donc que tu n'es pas obligé de mettre des écrous antivol, avec le risque de ne pas retrouver leur clé quand tu en as besoin et de te sentir un peu bête avec ton cric devant ta roue à plat). La même remarque que pour les chapeaux de roue, pendant qu'on y est, pour les conducteurs d'automobiles qu'on appelle toujours des chauffeurs, il y a bien longtemps qu'on ne prépare plus un démarrage en glissant une chaufferette garnie de braises sous le moteur, il n'y a même pratiquement plus besoin de préchauffage (ou si peu que pas) sur nos moteurs diesels modernes, et je ne te parle même pas des véhicules électrique ou assimilés. Il n'y a plus rien comme avant, ma bonne dame ! 
Ça démarre fort pour les régionales, mais en réalité, l'arrière-plan, c'est déjà la présidentielle, personne ne s'y trompe. Cet épisode, c'est une des petites escarmouches précédent la bataille qui s'est enclenchée, c'est un prologue insidieux qui trahit la tension qui monte, il y en aura beaucoup d'autres, sois en sûr, qui iront crescendo. Tu n'as pas fini d'entendre les média(s) [là, je suis ennuyé : « média » est d'origine un mot latin qui devrait s'écrire « media » (sans accent donc), et est le pluriel de 
« medium » et ne devrait donc pas non plus prendre le « s » au pluriel, mais la vie devient vite compliquée si tu commences à te dire que le pluriel d'un mot comme « aquarium » devrait être « aquaria » : personne n'emploie ce pluriel, tout le monde préfère « aquariums »] faire les gorges chaudes en répétant à l'envi les petites phrases venimeuses des uns et les réponses vénéneuse en retour des autres (pléonasme ? Les réponses ne sont-elles pas toujours en retour ?) 
Loin de moi l'idée de dénigrer ces attitudes d'affrontement, de les considérer comme frivoles. C'est et ça reste sérieux, quoi que j'en pense, c'est du débat d'idées malheureusement un peu entaché de stratégie électorale, ça fait un peu commedia dell arte mais c'est divertissant et largement préférable à des disputes d'adolescents à la sortie du lycée, que dis-je du collège, qui se terminent au couteau ou des scènes conjugales violentes qui aboutissent dans le sang et les flammes. 
Et puis ça nous permet d'oublier un peu la pandémie, toujours là, toujours présente, mais au second plan désormais, tellement habituelle qu'on n'y prend plus garde, l'isolement, les gestes barrière, tiens, fume, s'il n'y a pas de spot publicitaire que tu n'écoutes que d'une oreille (et encore) pour te le rappeler à longueur de temps, tu t'en laves les mains (ou plutôt tu devrais mais tu ne le fais déjà plus ou à peine, il suffit de voir se raréfier peu à peu les distributeurs de gel hydroalcooliques), les masques c'est juste pour dire, le plus souvent sous le nez (je ne sais pas si tu l'as remarqué, mais la plupart du temps on ne le remonte que pour passer en interview à la télé), quant à la distanciation (géométrique ou sociale, c'est comme tu le sens), tu avoueras qu'elle n'était pas franchement exemplaire autour du bus à impériale qui promenait en triomphe nos vaillants footballeurs lillois méritants. 
Pour continuer football, puisqu'on en parle justement, et toujours à propos de vaines altercations (de disputes, de chamailleries sur des queues de cerises si tu préfères), nous voilà en bisbille peut-être pas franchement électorale (mais de toute façon indissociable du contexte électoral) à cause le l'hymne de l'équipe de France choisi on ne sait pas trop par qui, sans grande concertation préalable, et apparemment sans trop de jugeote non plus. Je ne sais pas s'il y a eu une volonté politique là-dessous, ce dont je suis sûr, c'est que ça n'est pas franchement de bon ton, les paroles de l'hymne ça passe peut-être, mais leur auteur est pour le moins sulfureux, il a produit des textes un peu trop hard et engagés à mon goût. Tu peux aimer le rap, tu peux apprécier ce type de poésie, c'est une forme d'art respectable (tout le monde a le droit d'aimer ce qu'il veut), personnellement ce n'est pas ce que je préfère, mais comme ce n'est pas moi qui vais beugler les soirs de match, ça ne me dérange pas trop, j'attendrais que ça se passe. J'aimerais encore assez que la France gagne, pas tellement que je sois chauvin, mais l'enthousiasme fédérateur que ça suscite me plaît assez (ce qui me plaît moins, ce sont les quelques rares bagarres et débordements après les rencontres, ce qui me désole c'est qu'il y a des gens assez malheureux pour trouver un exutoire dans l'agressivité alcoolisée). 
Le monde d'aujourd'hui est trop sérieux, entre la piraterie aérienne à un niveau institutionnel encore jamais vu des uns, et les responsabilités rwandaises génocidaires assumées des autres, entre annonces de catastrophes écologiques inévitables et prévisions socio-économiques déplorables, trop sérieux et trop triste en même temps. Sans compter les agressions au couteau à l'endroit des forces de l'ordre devenus tellement itératives qu'on est surpris d'avoir des semaines sans. Se bouffer le nez sous des prétextes futiles, ou analyser avec légèreté le comportement des gens qui le font est probablement un moyen efficace d'éviter de s'appesantir sur la gravité de la situation, de s'attrister sur nos petitesses et nos visions étriquées à court terme. Bref, et pour se consoler en faisant référence à Beaumarchais (dans « Le Barbier de Séville »), « il faut savoir rire de tout, de peur d'avoir à en pleurer ».

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