Dommage ! Ça m'a rappelé les défis de mon enfance, les compétitions
viriles (à huit ans, le qualificatif est un peu fort, mais comment parler
autrement de ces concours à qui pisserait le plus haut, on avait même le droit
de sauter (mais ce n'est pas très facile, sans élan). C'était une école de
garçons à l'ancienne, pas moderne et pas mixte comme maintenant, tu ne
peux plus organiser une compétition de ce type à la régulière (il y a des filles
désormais : de mon temps, c'était comme dans la Grèce antique où les
athlètes, uniquement des hommes pratiquaient la compétition nus et où les
olympiades étaient strictement interdites aux spectatrices), pour chaque
performance homologuée on notait la date et un repère à la craie (chipée au
maître) sur l'ardoise (le beau panneau d'ardoise des installations sanitaires).
Je me souviens encore avec nostalgie, heureux âge, qu'il fallait parfois se
faire aider pour pouvoir inscrire bien haut les plus belles prestations au
palmarès. Maintenant, l'âge venu, je fais plutôt attention, nostalgiquement, de
ne pas mouiller mes bottes.
Et puis la tension est retombée dans la cour de récréation, aussi
rapidement qu'elle était montée, les adversaires se sont presque rabibochés,
ils n'avaient pas vraiment dit ce qu'ils avaient dit, les mots n'avaient donc pas
dépassé leurs pensées, ils n'avaient aucune raison de les réfuter, ils avaient
bien dit ce qu'ils avaient dit en définitive, ils ne sont pas partis bras-dessus
bras-dessous (il ne faudrait pas exagérer non plus, c'était une trève, voire
une paix armée, ce n'était pas une procession d'Enfants de Marie), mais ils
ont promis de se retrouver pour en reparler posément, même s'ils ont
beaucoup de points de convergence, ils ne sont pas franchement d'accord
sur tout.
Ce que je t'ai décrit ici, ce n'est pas un énième épisode de « La guerre
de boutons » (admiratif, je me sens incapable seulement d'imiter le talent du
grand Louis Pergaud), non, c'est un épisode conflictuel puéril entre grandes
personnes, majeures et vaccinées (je le suppose, mais c'est juste pour la
formule un peu surannée, on ne peut plus être sûr de rien en cette période de
promotion vaccinale, une ou deux doses ? Et à quelle date ? Où est le QR
code ?). Deux adultes responsables donc (au moins un des deux est ministre
d'État, que l'on peut raisonnablement penser responsable (ou alors c'est que
je me fais des idées sur ceux qui nous gouvernent), et l'autre qu'on ne peut
pas non plus suspecter de ne pas savoir toujours parfaitement ce que parler
veut dire) qui se sont indubitablement comportés l'un et l'autre de façon pour
le moins légère, peut-être à cause de nerfs mis à vif en raison d'un contexte
électoral qui s'électrise doucement.
Autant t'y faire tout de suite, la campagne électorale a démarré sur les
chapeaux de roue (belle expression imagée mais désuète, il y a belle lurette
que les roues d'auto n'ont plus de chapeau [je te le mets au singulier,
normalement, quand tout va bien (le sujet s'y prêtant, il vaudrait mieux dire
quand tout roule), c'est un chapeau par roue, mais si tu veux absolument un
pluriel, je te mets un « x » de côté, tu me le rendras quand tu auras fini],
maintenant si tu n'as pas de jantes alu au lieu d'enjoliveurs, tu passes pour
un ringard, mais le gros avantage en contre partie, c'est qu'on n'a pas envie
de te les piquer, et donc que tu n'es pas obligé de mettre des écrous antivol,
avec le risque de ne pas retrouver leur clé quand tu en as besoin et de te
sentir un peu bête avec ton cric devant ta roue à plat). La même remarque
que pour les chapeaux de roue, pendant qu'on y est, pour les conducteurs
d'automobiles qu'on appelle toujours des chauffeurs, il y a bien longtemps
qu'on ne prépare plus un démarrage en glissant une chaufferette garnie de
braises sous le moteur, il n'y a même pratiquement plus besoin de
préchauffage (ou si peu que pas) sur nos moteurs diesels modernes, et je ne
te parle même pas des véhicules électrique ou assimilés. Il n'y a plus rien
comme avant, ma bonne dame !
Ça démarre fort pour les régionales, mais en réalité, l'arrière-plan, c'est
déjà la présidentielle, personne ne s'y trompe. Cet épisode, c'est une des
petites escarmouches précédent la bataille qui s'est enclenchée, c'est un
prologue insidieux qui trahit la tension qui monte, il y en aura beaucoup
d'autres, sois en sûr, qui iront crescendo. Tu n'as pas fini d'entendre les
média(s) [là, je suis ennuyé : « média » est d'origine un mot latin qui devrait
s'écrire « media » (sans accent donc), et est le pluriel de
« medium » et ne
devrait donc pas non plus prendre le « s » au pluriel, mais la vie devient vite
compliquée si tu commences à te dire que le pluriel d'un mot comme
« aquarium » devrait être « aquaria » : personne n'emploie ce pluriel, tout le
monde préfère « aquariums »] faire les gorges chaudes en répétant à l'envi
les petites phrases venimeuses des uns et les réponses vénéneuse en retour
des autres (pléonasme ? Les réponses ne sont-elles pas toujours en retour ?)
Loin de moi l'idée de dénigrer ces attitudes d'affrontement, de les
considérer comme frivoles. C'est et ça reste sérieux, quoi que j'en pense,
c'est du débat d'idées malheureusement un peu entaché de stratégie
électorale, ça fait un peu commedia dell arte mais c'est divertissant et
largement préférable à des disputes d'adolescents à la sortie du lycée, que
dis-je du collège, qui se terminent au couteau ou des scènes conjugales
violentes qui aboutissent dans le sang et les flammes.
Et puis ça nous permet d'oublier un peu la pandémie, toujours là,
toujours présente, mais au second plan désormais, tellement habituelle qu'on
n'y prend plus garde, l'isolement, les gestes barrière, tiens, fume, s'il n'y a
pas de spot publicitaire que tu n'écoutes que d'une oreille (et encore) pour te
le rappeler à longueur de temps, tu t'en laves les mains (ou plutôt tu devrais
mais tu ne le fais déjà plus ou à peine, il suffit de voir se raréfier peu à peu
les distributeurs de gel hydroalcooliques), les masques c'est juste pour dire,
le plus souvent sous le nez (je ne sais pas si tu l'as remarqué, mais la plupart
du temps on ne le remonte que pour passer en interview à la télé), quant à la
distanciation (géométrique ou sociale, c'est comme tu le sens), tu avoueras
qu'elle n'était pas franchement exemplaire autour du bus à impériale qui
promenait en triomphe nos vaillants footballeurs lillois méritants.
Pour continuer football, puisqu'on en parle justement, et toujours à
propos de vaines altercations (de disputes, de chamailleries sur des queues
de cerises si tu préfères), nous voilà en bisbille peut-être pas franchement
électorale (mais de toute façon indissociable du contexte électoral) à cause le
l'hymne de l'équipe de France choisi on ne sait pas trop par qui, sans grande
concertation préalable, et apparemment sans trop de jugeote non plus. Je ne
sais pas s'il y a eu une volonté politique là-dessous, ce dont je suis sûr, c'est
que ça n'est pas franchement de bon ton, les paroles de l'hymne ça passe
peut-être, mais leur auteur est pour le moins sulfureux, il a produit des textes
un peu trop hard et engagés à mon goût. Tu peux aimer le rap, tu peux
apprécier ce type de poésie, c'est une forme d'art respectable (tout le monde
a le droit d'aimer ce qu'il veut), personnellement ce n'est pas ce que je
préfère, mais comme ce n'est pas moi qui vais beugler les soirs de match, ça
ne me dérange pas trop, j'attendrais que ça se passe. J'aimerais encore
assez que la France gagne, pas tellement que je sois chauvin, mais
l'enthousiasme fédérateur que ça suscite me plaît assez (ce qui me plaît
moins, ce sont les quelques rares bagarres et débordements après les
rencontres, ce qui me désole c'est qu'il y a des gens assez malheureux pour
trouver un exutoire dans l'agressivité alcoolisée).
Le monde d'aujourd'hui est trop sérieux, entre la piraterie aérienne à un
niveau institutionnel encore jamais vu des uns, et les responsabilités
rwandaises génocidaires assumées des autres, entre annonces de
catastrophes écologiques inévitables et prévisions socio-économiques
déplorables, trop sérieux et trop triste en même temps. Sans compter les
agressions au couteau à l'endroit des forces de l'ordre devenus tellement
itératives qu'on est surpris d'avoir des semaines sans. Se bouffer le nez sous
des prétextes futiles, ou analyser avec légèreté le comportement des gens
qui le font est probablement un moyen efficace d'éviter de s'appesantir sur la
gravité de la situation, de s'attrister sur nos petitesses et nos visions
étriquées à court terme. Bref, et pour se consoler en faisant référence à
Beaumarchais (dans « Le Barbier de Séville »), « il faut savoir rire de tout, de
peur d'avoir à en pleurer ».
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