lundi 3 mai 2021

La chronique de Charles : Espérance.

Mi-mai ! On va être déconfinés mi-mai ! Peut-être, je dis bien peut-être. Ce n'est pas une promesse ferme, c'est seulement l'échéance probable d'une première étape, si tout va bien, si ça se passe comme prévu, et rien n'est moins sûr pour l'instant. Le printemps, les petits oiseaux, les bourgeons sont au rendez-vous, le mois de mai permissif et libertaire sera à l'heure, mais peut-être pas le creux de vague tant espéré (il n'y a rien qui passe et qui ne repasse, disait ma grand-mère, constatation sage et vérifiée par l'expérience, mais je trouve pour ma part que ça fait un long moment que ça passe et que ça dure, et j'aimerais bien que ça finisse de passer, je n'ai pas que ça à faire, attendre que la vague passe ça me saoule un peu). Le reflux n'est pas encore avéré que déjà, de peur d'être à la traîne, les diseurs de bonne aventure patentés et autres haruspices improvisés et auto-proclamés chasseurs de micros complaisants, nous promettent monts et merveilles, et arguent d'images de liberté retrouvée dans des pays qui auraient fait beaucoup mieux que nous ou que nos dirigeants, plus vite, plus fort (l'herbe est toujours plus verte dans le pré d'à côté, disait aussi ma grand-mère). C'est à qui nous montrera des foules non masquées, et des réunions festives chopes à la main. Je m'insurge contre cette vision réductrice, voire étriquée du bonheur, non pas que je sois ennemi de la bière, je n'en laisse pas ma part, loin s'en faut, mais sans le moins du monde minimiser l'importance de ce breuvage dans notre culture, il faut savoir chercher l'euphorie non seulement dans d'autres boissons fermentées et à teneur en alcool plus ou moins forte, et elles sont nombreuses de par le monde à revendiquer des propriétés similaires, mais aussi dans d'autres plaisirs aujourd'hui interdits en raisons des restrictions sanitaires. Dit plus simplement, le bonheur, ce n'est pas que la bière, c'est aussi la convivialité actuellement brimée, en tout cas réfrénée sinon réprimée, la gastronomie, avec tout ce qui tourne autour (parce que la gastronomie isolée, c'est comme le plaisir solitaire, c'est un peu malsain, il y manque quelque chose), l'ambiance comme on dit, le bien-être qui résulte d'un repas détendu entre amis réunis autour d'une même table. A cette bière en terrasse qu'on nous présente comme un symbole de liberté, on peut lui préférer un apéritif, ou un vin, liquoreux, sec ou fruité, un alcool plus viril (une boisson pour hommes comme précisent les tontons flingueurs par Audiard interposé, à moins que ce ne soit Audiard par les tontons flingueurs interposés, ne m'ennuie plus avec des détails pareils au prétexte que tu as vu le film), au choix, peu importe, on nous fait de toute façon miroiter l'espérance de jours meilleurs, et la réminiscence de la vie d'avant. Mais si ça se passe (et seulement si), ce sera un retour à la normale vraiment très progressif, ce sera une décélération aussi lente que possible, notre Exécutif a pris, avec la campagne de vaccination, la mesure de ce qu'était une accélération rapide mais contrariée par la pénurie de doses, pour la levée des mesures contraignantes, avec l'expérience qu'il a ainsi acquise, il va s'y référer, on ne risque pas de ressentir le moindre soubresaut, ça se fera avec une componction suave, presque langoureuse. Mi-mai donc, si tout va bien, on ne connaît pas les critères sur quoi se basera ce « tout va bien », c'est une estimation « au pif », mais on ne sait toujours pas le pif de qui, c'est dire s'il y a de l'aléatoire dans l'air. Mais ça n'empêche pas d'espérer, on en a tant besoin. Le restaurant en terrasse ne sera qu'une étape, pourvu qu'il fasse beau, mi-mai c'est possible, mais pas franchement garanti, il ne faudra peut- être pas oublier sa petite laine, le confort thermique sera peut-être seulement en option, je ne veux pas être un briseur de rêve, il faudra vraisemblablement penser à des plats roboratifs genre fondue (savoyarde ou bourguignonne au choix) qui tiennent chaud au cœur et surtout au corps plutôt qu'à un plateau de fruits de mer sur leur lit de glace accompagné de vin blanc dans son seau à glace (rien que d'y penser, si le temps est frais, ça te fait froid dans le dos). Et ne pas oublier de retirer, outre ton masque, tes moufles pour manger, ça rendrait tes gestes imprécis et maladroits. Ça ressemblera peut-être à ce qui se passe dans les restaurants d'altitude où tu te régales rapidement en chaussures et combinaison de ski de plats malheureusement trop vite refroidis (quand les remontées mécaniques fonctionnent, sinon tout reste fermé là-haut). 
Les dernières réflexions de l'Exécutif laissent bien augurer d'une liberté partiellement retrouvée, on parle de début mai pour des déplacements moins limités, et toujours de la mi-mai pour de la restauration en terrasse, le reste suivra un peu plus tard (mais ma grand-mère, jamais en peine de proverbes, d'adages et autres sentences frappées au coin du bon sens, peut-être un peu méfiante aussi, disait aussi « au pays de promesses, on meurt de faim ». J'ai hérité d'elle cette propension au bavardage, mais même enfant, et petit-fils respectueux et affectionné, j'avais tendance à penser qu'elle parlait trop). La dernière notion à la mode, c'est qu'il n'y aurait plus de territorialisation, de mesures spécifiques, tout le monde z'égaux, la république française, une et indivisible en quelque sorte. Le couvre-feu, c'était à géométrie variable, à progression géographique raisonnée, mais pour des raisons aussi bonnes et aussi valables que celles qui imposaient des restrictions différentes selon les départements, à l'inverse le déconfinement lent se fera de façon uniforme sur toute la métropole (pour les DOM-TOM, je ne sais pas si ça s'appliquera aussi, les motifs de faire la même chose ou son inverse sont également disparates et multiples, et pas encore clairement précisés).
Encore un jeudi avec séance officielle de marionnettes : ils sont venus à quatre pour nous faire, l'un derrière l'autre, le « one man show » habituel, sans gel hydro-alcoolique passé de mode semble-t'il et pour nous confirmer officiellement des informations nouvelles déjà diffusées par toutes les chaînes d'infos depuis l'avant veille, ce doit être un truc mis au point certainement pour nous éviter l'effet de surprise. Même les questions- réponses, ils les ont faites tout seuls, cette fois-ci, histoire de gagner du temps. Rien de nouveau apparemment, sauf qu'on a passé un pic, on redescendrait d'après eux (sans que les chiffres ne baissent, ils l'ont vu, ils l'on discerné dans la stabilité apparente, c'était une stabilité qui ne montait plus, c'était déjà un bon signe, ça prouve qu'ils sont plus malins que nous, que moi en tout cas qui n'ai rien vu venir, et pourtant, ce n'est pas l'espérance qui m'en manque), enfin, ce n'est pas une descente pour de vrai, c'est une tendance qui demande instamment et impérativement à être confirmée, sous toute réserve, mais qui suscite justement et comme par hasard énormément d'espérance. Depuis une semaine, on nous promet un commencement de vie nouvelle comme avant (ce qui est pour le moins paradoxal, si tu y réfléchis bien, si elle est nouvelle, elle ne peut pas être comme avant, ou alors c'est forcément du réchauffé), c'est désormais officiel que ce sera peut-être le cas, ils nous ont rassurés en nous promettant toutefois que rien n'était moins sûr. Par les temps incertains que nous vivons, c'est assurément une excellente nouvelle, autant d'incertitude dans cette période de rumeurs folles, d'informations bidons, de propagande éhontée et de fausse publicité ne peut qu'être ressentie que positivement. Pour les écoles, le moindre cas positif fermera toute la classe, on va tester comme des malades, les enfants, les enseignants, le personnel de service, tout ce qui bouge, même le facteur qui apporte le courrier à l'école, c'est bien simple, on n'arrêtera que quand on aura épuisé notre stock de tests, ou alors quand rien qu'entendre le mot test nous provoquera une nausée. Pour la territorialisation, il n'y en aura pas, sauf qu'on n'exclut pas la possibilité d'y recourir selon les endroits. Toujours cette incertitude bienvenue et rassurante. On peut donc espérer que nos libertés ne seront bientôt plus contrariées, sauf là où ce sera nécessaire. En résumé, tout ce qui est fermé sera bientôt rouvert (il y a des réouvertures pour ceux à qui on permet de rouvrir, alors je ne sais plus, entre réouvrir et rouvrir, ce qui est correct et ce qui est à proscrire, lis-le comme tu le sens, je te laisse juge), sauf si ça doit rester fermé en raison des circonstances sanitaires. Et dire qu'il y a des gens, de mauvaise foi certainement, ou alors d'une sensibilité politique exagérément hostile à nos dirigeants pour penser à exiger un peu plus de précision, et un peu plus d'engagement sur les calendriers. Mais pourquoi ne pas tolérer de l'Exécutif ce qu'on permit à Malbrough qui prévoyait de revenir de guerre à Pâques ou à la Trinité, et qui en définitive n'en revint pas (dans la chanson, parce que dans la vraie vie, il n'est pas mort à la guerre, il a seulement été blessé !). 
Globalement, à partir du 3 mai prochain, et sauf contre ordre intervenu d'ici-là, tu ne seras plus obligé de mentir éhontément ni d'inventer des motifs impératifs fallacieux pour traverser la France (j'en connais qui l'ont fait avec leurs enfants au prétexte de les confier aux grands-parents, c'est dire s'ils étaient désespérés, parce que trimbaler de la marmaille en auto pour un trajet un peu long, sans y être obligés, il faut vraiment être maso : « dis papa, on est bientôt arrivés ? J'ai envie de faire pipi, retiens-toi, tu vas faire baisser ma moyenne »), mais il va encore falloir attendre un peu pour le faire dans des conditions supportables, c'est à dire en se désaltérant régulièrement (mais seulement en terrasse, pourvu qu'il fasse beau, sinon on est bons pour le vin chaud debout devant des food-trucks, et il n'y en a pas partout). Comme tu le vois, mon espérance à moi, c'est de réussir à ne pas désespérer.

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