lundi 17 mai 2021

La Chronique de Charles : Incertitude.

Les chiffres diminuent. Incontestablement, la pente descendante tant espérée de leur courbe est désormais perceptible. On savait bien (on s'en doutait bien à vrai dire) que les décisions gouvernementales ne sont pas prises au hasard, le taux de reproduction de la maladie étant depuis quelques jours en dessous de un, ce n'était pas un pari trop osé que de nous « libérer » par anticipation, de relâcher un peu la pression, mais quand même, la décroissance aujourd'hui avérée est un soulagement. Il y a toujours beaucoup d'hospitalisations et d'entrées en réanimation, mais il y en a moins. Il y a toujours des morts, mais de moins en moins en conséquence. Mais, signe évident de cette amélioration, ces chiffres, il faut presque aller les chercher, ils ne font plus la une, on préfère (quand je dis « on », je pense « les journalistes » qui nous informent et nous inquiètent, histoire de faire le buzz), on préfère entendre parler d'effets secondaires des vaccins, et de la propagation soit-disant inéluctable de variants exotiques, ça, ça fait du scoop, de l'audience, on s'était habitués sans état d'âme particulier à 300 morts par jours, maintenant qu'il n'y en a plus que 250, ça ne nous amuse plus (ou plutôt, ça ne les amuse plus parce que ça ne nous intéresse plus, on a les journalistes qu'on mérite !). 
On respire mieux. Cette liberté de déplacement retrouvée a soulevé comme une chape, un couvercle. Remarque, la météo y est aussi un peu pour quelque chose, tu as le droit d'aller et venir à nouveau, sans avoir besoin de loucher sur le cercle des 10 km, sans trop t'occuper du vol des oiseaux. J'ai un pote qui m'a dit « cet endroit, en passant par là, je peux, mais en passant par là, je suis en infraction », il a fallu que je lui réexplique non pas le vol des oiseaux (c'est beaucoup trop compliqué pour moi, le vol à aile battante est d'une rare complexité, les ingénieurs aéronautiques n'ont pas encore franchement résolu le problème) mais ce que signifiait l'expression qui n'a somme toute rien à voir avec les oiseaux. Apparemment, ce n'est pas une notion solidement acquise pour tout le monde, la preuve, il y a même une application gouvernementale qui t'aidait à rester dans la légalité. Tout ça pour dire que justement, on n'en a plus besoin (de voler comme les oiseaux pour compter ses kilomètres, maintenant, c'est mieux, on peut faire comme le chat botté, utiliser ses bottes de sept lieues). Tu vas où tu veux, mais attention, pas n'importe quand, tu es quand même encore soumis au couvre-feu, ne va pas l'oublier, ça te jouerait des tours, comme à moi la semaine dernière. 
Mais quand même, cet air de liberté, ça n'a pas de prix, tu peux traverser tout le département si ça te chante, et même plus (mais déjà, tu as intérêt à le faire dans le sens Nord-Sud, ou Sud-Nord si tu préfères, en suivant le méridien pour simplifier, plutôt qu'Est-Ouest ou Ouest-Est indifféremment, c'est simple affaire de bon sens, ça va te prendre un peu plus de temps, car si tu n'y a pas prêté attention et donc si tu ne l'as pas remarqué, on a un département beaucoup plus large que haut. Quand on a créé les départements, à l'origine, et dans un souci d'égalité et de bonne gestion, c'était avec l'idée d'un chef-lieu qu'on pourrait atteindre d'une journée de cheval, en réalité, c'est plus compliqué que ça, même Napoléon y a mis son grain de sel impérial, mais si on se résume bien les choses, pour le Nord, ils ont dû trouver un cheval qui galopait plus vite de droite à gauche, que de haut en bas, je ne vois pas d'autre explication, mais je suis prêt et ouvert à toute hypothèse raisonnable à ce sujet. En montagne, ils ont le dahut avec ses pattes plus courtes d'un côté, mais chez nous en plaine, la suggestion n'est pas crédible). 
Je dis que tu peux traverser tout le département, mais en réalité, il n'y a pas de limite, tu peux traverser toute la France, à la condition de prévoir soigneusement tes étapes (toujours à cause du couvre-feu, si tu ne fais pas attention, tu risques d'avoir du mal à trouver un hôtel accueillant après l'heure fatidique). Toute la France, c'est vite dit, pour la Corse qui est aussi la France, mais en mieux (c'est ce que disent les corses, et quand ils ne le disent pas, ils le pensent), tu as intérêt à prévoir aussi un test. Si tu es vacciné, je crois que c'est bien aussi, mais je n'en suis pas sûr, mais je m'en fous, je ne veux pas y aller (au moins pour l'instant). Pour ma part, ce qui m'intéresse c'est plutôt l'étranger, non pas par soif de l'exotisme ni souci de culture ethnologique différente, non le proche étranger (on peut dire proche étranger comme on dit Proche-Orient) l'étranger sur lequel j'ai jeté mon dévolu c'est la Belgique pas parce qu'elle est proche, plus proche tu peux difficilement faire (il n'y a même pas besoin de traverser la Lys, il y a des bouts de Belgique de notre côté de la rivière), mais surtout parce qu'elle est en avance sur nous, nonobstant tout ce qu'on raconte comme histoires belges, la preuve les bistrots en terrasse y sont depuis peu accessibles, avant même les nôtres. 
Mais tout ça ne nous rapproche que modestement du sujet de la semaine : l'incertitude quant à l'avenir, ça ne me taraude pas au point de m'empêcher de dormir, mais il faut avouer que les jours qui viennent fourmillent de points d'interrogation : la campagne de vaccinations n'est pas achevée, loin s'en faut, que déjà on se demande quelle est la durée de l'efficacité vaccinale. Déjà qu'on se pose beaucoup de questions sur qui vacciner et avec quoi, on s'est fait un malin plaisir de mixer les produits entre première dose et rappel, on en a profité pour modifier l'intervalle entre les doses, plus personne ne sait aujourd'hui ce qu'il faut utiliser. On reparle déjà d'une injection de rappel supplémentaire, et sans sourciller aucunement, de recommencer la même opération l'année prochaine. Pour les jeunes, on ne sait pas encore ce qu'on va faire, il serait temps de s'en préoccuper surtout qu'on parle de restreindre les activités des non-vaccinés, ils commencent à faire la gueule et à perdre patience (à juste titre ? ). En résumé, ceux qui se vantent à ce jour d'être vaccinés (seulement protégés [peut-être] contre les formes graves), ne le sont peut-être pas tant que ça, et peut-être pas pour longtemps, et devraient éviter de faire les farauds en s'affranchissant des gestes barrières. On ne parle plus non plus des variants, ça n'a plus l'air d'intéresser grand monde, que sont-ils devenus maintenant qu'ils ne sont plus à la mode ? La dernière nouveauté, maintenant, c'est le passe sanitaire, c'est très tendance, tu peux l'avoir sur ton téléphone, mais avant que ça fonctionne correctement, il y a encore beaucoup d'eau qui va couler sous les ponts : le premier qui pourra me montrer, sur son smartphone, son pass sanitaire avec le QR code attestant de ses vaccinations aura droit à toute ma considération, à mon respect sincère : Vacciné, tu as obtenu un papier, en réalité deux si tu as eu les deux doses, mais l'enregistrement officiel est loin d'en être parfait, et avant que tu puisses faire la demande de ce QR code (on ne sait pas encore à qui), qu'elle soit honorée après qu'on ait retrouvé trace officielle de tes injections, il va encore se passer un moment. Un conseil, garde bien tes certificats papier et fais en des copies, m'est avis que les fichiers informatiques comporteront des trous, tu risques d'être un peu gêné à l'avenir pour tes déplacements à l'étranger, les blocages aux frontières risquent de te freiner les enthousiasmes, la même chose si tu prévois de participer à des rassemblements de plus de mille personnes, mais bon, personne ne peut t'empêcher de vouloir vivre dangereusement.
Incertitude encore sur la vague de contaminations : elle descend certes, mais très doucement, ce qui déjà une bénédiction en soi, mais personne ne peut sérieusement présager de ce qui se passera le mois prochain, entre déplacements estivaux et retrouvailles festives, on ne fera que constater l'évolution, on pourra juste évoquer des semblants d'explications, seuls les moins prudents se risqueront à cet exercice périlleux, histoire de laisser à penser qu'ils sont plus malins que les autres. Incertitude donc pour l'été à venir, sera-ce la fin de cette épidémie, ou un répit en attendant la prochaine vague ? Les ponts de mai saturent les autoroutes et les gares, Bison Fûté est aphone (aurait-il attrapé la Covid-19 lui aussi, le virus a peut-être sauté du pangolin à l'homme, pour passer au bison ?). Bison fûté est aphone, en tout cas on ne l'entend plus, à moins qu'il ne fasse la gueule, il doit être jaloux, avant, c'est lui qui mettait la France en couleurs, il proteste probablement devant cette concurrence déloyale. Remarque bien, ce n'est pas exactement le virus qui colorie la France, ce sont plus précisément les épidémiologistes qui viennent nous embrouiller avec des répartitions de variants, des taux de contaminations, des niveaux de saturation de réanimation, tu vois désormais le territoire comme un superbe arc-en-ciel, avec à la fois du soleil et de la pluie, ça c'est de l'information ! Note bien, on va entrer en période électorale, on n'a pas fini de voir des diagrammes, des histogrammes, des camemberts de toutes les couleurs, autant que tu t'y habitues tout de suite, la campagne électorale est déjà lancée, mais ça démarre mollement, juste par un canter d'entraînement, un petit échauffement avant d'entrer dans le vif du sujet, on va parler moins souvent de virologie et un peu plus de sécurité, tout sera dans la nuance sémantique et le bon ton (tu l'as déjà remarqué, on te l'a déjà seriné, on t'a déjà expliqué la différence entre une véritable insécurité et le sentiment d'insécurité : quand tu te prends un coup de gourdin asséné par un malandrin au coin d'un bois, ça c'est de l'insécurité, ça fait mal, mais si tu as seulement peur d'avoir mal, et que tu ne vas pas au coin des bois, ça c'est le sentiment d'insécurité, ça fait moins mal, et ce serait moins grave aux dires de quelques uns). Mais même s'il n'y a pas de raison d'avoir peur, j'ai quand même peur d'avoir raison. 
Pour l'instant, question couleur, on peut se permettre de voir la vie en rose, et comme disait Letizia (pas la femme de Johnny, l'autre, la mère de Napoléon) "Pourvu que ça dure !" En ces périodes riches en rebondissements, que nous réserve l'avenir ? De quoi demain sera-t-il fait ? Cruelle incertitude !

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