vendredi 21 août 2020

Chronique de Charles d'il y a qqs semaines : Tracking (pas drôle, pas drôle du tout)

On n'arrête pas le progrès, il y a des évolutions qui paraissent inéluctables. Depuis le fardier de Cugnot, l'histoire des véhicules automobiles et des moyens de locomotion et/ou de transport a progressé irrémédiablement, il ne viendrait à l'idée de personne de refuser cette fuite en avant, de condamner l'auto ou l'avion. On y pense bien un peu, à cause du réchauffement climatique et du bilan carbone, mais ça ne dure pas. C'est tellement pratique. 
Pour le téléphone, c'est pareil, on l'a connu avec des fils de cuivre, des standards et des opératrices, il s'est automatisé pour arriver au réseaux actuels avec des appareils aux propriétés multiples, qui ne nous étonnent même plus. Bluetooth, Wifi, Google est mon ami, on fait une photo, on la transmet à la terre entière, avec une facilité et une rapidité déconcertantes, c'est le progrès, on sait où et à quelle heure elle a été prise, c'est tellement pratique. Par contre, on s'étonne, on s'offusque que ce soit irréversible. L'image est inscrite on ne sait où, gravée à jamais dans une mémoire sans faille, irrécupérable. On peut en faire une copie, modifier cette copie, même les traces de ces modifications sont retranscrites et conservées indéfiniment, mieux que par notre conscience. 
Ce long préambule pontifiant ne doit pas vous effrayer, ce n'est pas le but, il vous rappelle seulement que nous sommes, bon gré mal gré, entrés en sautant à pieds joints dans l'ère du numérique à tout va. Votre compteur électrique moucharde votre consommation en temps réel, d'aucuns s'en sont inquiétés un moment, et puis l'oublient. Dans le passé, un releveur passait noter les chiffres, ensuite on vous a fait confiance pour les afficher à la fenêtre, maintenant ce n'est plus la peine, ça se fait sans intervention humaine, c'est le progrès, c'est tellement pratique, mais on (Big Brother) sait à quelle heure et en quelle quantité vous consommez l'énergie. Il y en a que ça inquiète, que ça dérange, moi pas, c'est incontestablement une atteinte à la vie privée (j'ai la faiblesse de m'en foutre, de penser que c'est une vétille, j'ai probablement tort pour le principe), c'est la rançon du progrès diront certains, dont je ne suis pas sûr qu'ils aient raison. 
Là ou je veux en venir (enfin direz-vous !), c'est à ce traçage des cas positifs de Covid-19 avec le téléphone. Sensibilisé de longue date à l'épineux et difficile problème du secret médical, intéressé dès le départ au dossier médical informatisé, aux possibilités de diffusion, de transmission, aux restrictions de circulation de l'information médicale, je suis devenu (un peu) paranoïaque sur le sujet. Et là, pas de problème, pas de question, la technique peut le faire facilement, ce ne sont que quelques lignes de programme après tout, s'il l'accepte (maigre rempart), le cas positif va rayonner en bluetooth, et prévenir anonymement, en principe, les téléphones alentour. Bien sûr qu'il va l'accepter, il est moralement obligé de le faire, c'est pour notre bien à tous, comment pourrait-il refuser sans être un mauvais citoyen, un mauvais camarade, un mauvais tout court. Heureusement, il y en a quelques uns, et non des moindres (des députés, ce n'est pas rien) pour trouver que c'est quand même un peu dangereux, dont on va calmer les angoisses en leur expliquant que c'est pour une bonne cause, que c'est pour le bien commun, qu'on a tort de s'inquiéter, que ce seront des fichiers transitoires vite effacés, le temps d'une quatorzaine, voire d'une épidémie. N'empêche, ce qui est noté l'est irrémédiablement, savoir que quelqu'un est positif, ou l'a été ne devrait regarder que lui, là ce sera inscrit dans le cloud, à la portée de n'importe qui. Vous allez me rétorquer que ce n'est pas bien grave, que l'information n'intéresse personne. Qu'en savez-vous ? Quand une mutuelle de santé, ou une assurance viendront vous expliquer que vous avez une surprime au motif que vous avez été positif, donc que vous représentez un risque augmenté, ou que vous perdez un droit à indemnisation parce que vous avez omis de le déclarer, vous ne viendrez pas vous lamenter, vous ne pourrez que vous plaindre de cette violation du secret médical. 
L'application est prête, je suis certain qu'il y en aura bientôt une autre, gratuite aussi, mais peut-être pas officielle, qui va faire biper en temps réel les téléphones des voisins quand il y aura un cas dans les environs (un peu comme les radars sur nos routes et l'application Coyote). Et tout ça va évoluer comme pour la détection de l'hyperthermie (la fièvre?) (qui est déjà une en soi une violation du secret médical, si on est pointilleux) qu'incidemment j'ai vu mettre en place, en Chine peut-être, mais chez nous en France, pour la reprise du travail à l'entrée de nos usines, sans que les partenaires sociaux, souvent fort sourcilleux, y trouvent à redire. Tout le monde trouve le procédé astucieux, et plus grave surtout, banal, anodin. C'est pour le bien de tous... 
Là, je m'insurge .Comment peut on envisager sans l'ombre d'une hésitation de marquer des êtres humains ? On l'a déjà fait dans le passé, sans que ça dérange grand'monde d'ailleurs. Le marquage au fer rouge est assez ancien, il ne se pratique plus trop, le traçage avec un bout de tissu jaune est malheureusement encore trop frais dans nos mémoires... 
On n'a pas le droit de faire de distinction de sexe, de couleur de peau, de nationalité, de religion, d'opinion, mais on aurait le droit de le faire pour la température, ou en fonction du résultat d'un test plus ou moins fiable. Mais comment s'y opposer, c'est pour la bonne cause me répondrez-vous, c'est pour notre bien à tous (on dit que l'Enfer est pavé de bonnes intentions), c'est pour le salut de tous, notre santé publique n'a pas de prix, mais elle n'a pas de pudeur non plus. Et je me permets de penser, en évoquant l'expression surannée « toute honte bue » que la honte est apparemment une boisson fort légère...

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