Je me permets d'exposer les faits délictueux dans toute leur gravité :
prétextant un impérieux besoin de prendre l'air, elle renseigne scrupuleusement
une attestation de déplacement dérogatoire, et coche la case idoine. Jusque là,
rien à redire. Mais j'apprends, au retour de sa promenade hygiénique, qu'elle serait
allée jusqu'au cimetière de la commune. Or, j'ai pu mesurer, grâce au site
gouvernemental Géoportail, dont voulez bien nous laisser bénéficier, qu'il est
distant de notre domicile de 1150 mètres (et heureusement que, grâce aux
dispositions que vous avez bien voulu faire prendre sur l'ensemble du territoire, le
dit cimetière était fermé, la transgression au kilomètre autorisé en eût été plus
affirmée).
Les faits sont graves, abuser de votre magnanimité à ce point ne devrait pas
être permis. Mais ce n'est pas tout. Son attitude inqualifiable ne se résume pas à ce
forfait : au retour, elle a rencontré une voisine dans le hall de notre immeuble (elle a
toutefois respecté les consignes de distanciation), la conversation a duré, duré au
point de dépasser largement la limite autorisée d'une heure, et d'enfreindre par
conséquent les règles pertinentes que vous avez bien voulu édicter précisant la
durée de cette promenade. Vous m'objecterez sans doute qu'une fois rentrée dans
l'immeuble, le chronométrage ne s'impose plus, mais c'est là soulever un point de
droit peut-être contestable, n'empêche que dans l'esprit, cela reste une infraction,
et que même ce petit côté frondeur ne devrait pas être autorisé. Il n'est pas permis
d'être badin, fantaisiste à ce degré. Confinement ne rime pas forcément avec
austérité, mais un peu de sérieux ne nuit pas. Le confinement n'est pas drôle, ce
n'est pas une raison pour s'en moquer.
Si vous le voulez, Monsieur le Ministre, je peux même vous donner le nom de
cette voisine qui, tout compte fait, est un peu complice et mériterait d'être associée
dans la punition que vous ne manquerez pas de leur infliger, le moment de la
pédagogie étant révolu, doit advenir celui de la répression. Sans vouloir le moins
du monde critiquer les forces de l'ordre que vous dirigez magistralement, Monsieur
le Ministre, il semblerait qu'elles soient en nombre insuffisant pour déceler et
réprimer de tels agissements. Outré qu'ils se répètent régulièrement, je vous
suggère une opération de flagrant délit au cimetière vers les 16 h à 16 h 30. C'est
l'heure où elle s'y promène régulièrement. Il me plairait assez que mon nom ne soit
pas cité au cours de cette opération : je n'ai pas honte de mon attitude
responsable, je suis seulement prudent et soucieux d'éviter les représailles. Si ma
compagne se voit, comme je l'espère, justement condamnée, il est évident que nos
relations, certes parfois tumultueuses, risquent d'évoluer vers un regain de tension
durable et préjudiciable à mon confort.
Soucieux de l'ordre public, mais aussi de ma tranquillité personnelle, je ne
voudrais pas être, à l'occasion de ma démarche citoyenne, être une victime
collatérale de la pandémie. Il n'y a pas de traitement avéré (pas encore) contre le
coronavirus, mais, si elle venait à l'apprendre, je craindrais personnellement
quelquechose de plus terrible que la peste et le choléra réunis, contre quoi je ne
pourrais tirer profit d'aucune ressource thérapeutique connue. Et si je n'avais peur
d'abuser, j'oserais vous demander, Monsieur le Ministre, l'octroi d'une dérogation
permanente spéciale de déplacement qui me permettrait de lui porter régulièrement
des oranges en prison, en m'évitant les formalités administratives fastidieuses et
répétitives des demandes de dérogation.
Veuillez croire, Monsieur le Ministre, à l'expression de mes sentiments
respectueux et empressés.
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