mercredi 26 août 2020

Chronique de Charles d'il y a qqs semaines : Monsieur le Ministre de l'Intérieur,

J'ai l'honneur de porter à votre connaissance des faits de délinquance très graves, et qui devraient à mon sens être punis avec la plus grande sévérité, ne serait-ce qu'à titre d'exemple. En ces temps de confinement souhaité rigoureux, ma compagne, faisant preuve d'une légèreté insoutenable, et en prenant à son aise avec les dérogations que vous avez judicieusement bien voulu permettre, profite sans vergogne de cette tolérance de façon fort peu citoyenne. 
Je me permets d'exposer les faits délictueux dans toute leur gravité : prétextant un impérieux besoin de prendre l'air, elle renseigne scrupuleusement une attestation de déplacement dérogatoire, et coche la case idoine. Jusque là, rien à redire. Mais j'apprends, au retour de sa promenade hygiénique, qu'elle serait allée jusqu'au cimetière de la commune. Or, j'ai pu mesurer, grâce au site gouvernemental Géoportail, dont voulez bien nous laisser bénéficier, qu'il est distant de notre domicile de 1150 mètres (et heureusement que, grâce aux dispositions que vous avez bien voulu faire prendre sur l'ensemble du territoire, le dit cimetière était fermé, la transgression au kilomètre autorisé en eût été plus affirmée). 
Les faits sont graves, abuser de votre magnanimité à ce point ne devrait pas être permis. Mais ce n'est pas tout. Son attitude inqualifiable ne se résume pas à ce forfait : au retour, elle a rencontré une voisine dans le hall de notre immeuble (elle a toutefois respecté les consignes de distanciation), la conversation a duré, duré au point de dépasser largement la limite autorisée d'une heure, et d'enfreindre par conséquent les règles pertinentes que vous avez bien voulu édicter précisant la durée de cette promenade. Vous m'objecterez sans doute qu'une fois rentrée dans l'immeuble, le chronométrage ne s'impose plus, mais c'est là soulever un point de droit peut-être contestable, n'empêche que dans l'esprit, cela reste une infraction, et que même ce petit côté frondeur ne devrait pas être autorisé. Il n'est pas permis d'être badin, fantaisiste à ce degré. Confinement ne rime pas forcément avec austérité, mais un peu de sérieux ne nuit pas. Le confinement n'est pas drôle, ce n'est pas une raison pour s'en moquer. 
Si vous le voulez, Monsieur le Ministre, je peux même vous donner le nom de cette voisine qui, tout compte fait, est un peu complice et mériterait d'être associée dans la punition que vous ne manquerez pas de leur infliger, le moment de la pédagogie étant révolu, doit advenir celui de la répression. Sans vouloir le moins du monde critiquer les forces de l'ordre que vous dirigez magistralement, Monsieur le Ministre, il semblerait qu'elles soient en nombre insuffisant pour déceler et réprimer de tels agissements. Outré qu'ils se répètent régulièrement, je vous suggère une opération de flagrant délit au cimetière vers les 16 h à 16 h 30. C'est l'heure où elle s'y promène régulièrement. Il me plairait assez que mon nom ne soit pas cité au cours de cette opération : je n'ai pas honte de mon attitude responsable, je suis seulement prudent et soucieux d'éviter les représailles. Si ma compagne se voit, comme je l'espère, justement condamnée, il est évident que nos relations, certes parfois tumultueuses, risquent d'évoluer vers un regain de tension durable et préjudiciable à mon confort. 
Soucieux de l'ordre public, mais aussi de ma tranquillité personnelle, je ne voudrais pas être, à l'occasion de ma démarche citoyenne, être une victime collatérale de la pandémie. Il n'y a pas de traitement avéré (pas encore) contre le coronavirus, mais, si elle venait à l'apprendre, je craindrais personnellement quelquechose de plus terrible que la peste et le choléra réunis, contre quoi je ne pourrais tirer profit d'aucune ressource thérapeutique connue. Et si je n'avais peur d'abuser, j'oserais vous demander, Monsieur le Ministre, l'octroi d'une dérogation permanente spéciale de déplacement qui me permettrait de lui porter régulièrement des oranges en prison, en m'évitant les formalités administratives fastidieuses et répétitives des demandes de dérogation. 
Veuillez croire, Monsieur le Ministre, à l'expression de mes sentiments respectueux et empressés.

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