samedi 29 août 2020

Chronique de Charles d'il y a qqs semaines : Déconfinement

Il n'a seulement pas commencé, ce déconfinement, qu'il prête déjà à rire. Et s'il y a bien quelque chose qu'il ne faut pas rater en ce moment, c'est une occasion de rire, ou au moins de sourire, elles sont un peu rares en ce moment les opportunités de voir la vie en rose plutôt qu'en morose. 
Déjà, le retour à l'école, dont les conditions élastiques à géométrie variable affolent les plus perplexes, n'arrive pas à trouver son mode d'emploi. Tu y vas si tu veux, seulement si tu n'as pas peur, tu peux préférer rester à la maison pour faire tes devoirs par internet, tu restes à un mètre de tes camarades quelles que soient les circonstances, tu peux jouer aux quatre coins à la récré, mais il n'y a que quatre coins, donc la récré pas tous en même temps. Même chose pour la cantine, il n'y en aura pas, tu manges dans ta salle de classe, bonjour les taches de gras sur les cahiers, ne t'approche de personne, et ne laisse personne t'approcher, si avec ça tu tires profit du projet pédagogique, c'est que t'es vraiment dégourdi. Les décrocheurs n'ont qu'à bien se tenir (ils n'ont qu'à s'accrocher, en quelque sorte). Et tout ça branché sur l'alternatif, un coup t'y vas, un coup t'y vas pas, il n'y a pas assez de place pour tout le monde en même temps. Déjà, ton prof, avec son masque, tu ne le reconnaîtras pas, si toutefois c'est le tien, la réorganisation de l'emploi du temps aura fait son œuvre. On va te filer un masque de qualité à n'enlever sous aucun prétexte, estampillé Afnor, ou encore mieux Délégation Générale à l'Armement (rien qu'avec ça, le virus a déjà peur, mais comme c'est le même que sur le porte-avion, il se dit qu'il a quand même sa chance). Tu ne prêtes ton stylo à personne, non, ta gomme non plus, et interdiction absolue de lancer des boulettes aux copains, non, les avions en papier non plus ! 
Attends, on ne sait pas encore bien la date, le 11 mai c'est le top départ officiel (mais ce n'est pas encore fait), mais après ça va se décliner en fonction de l'âge, les grands d'abord, à moins que ça ne soit les petits, les petits sans masque, ils n'ont pas la pointure, et puis ils ne les tiendront pas longtemps, de grands esprits s'en sont rendu compte spontanément. Pour les bus scolaires, il va falloir les dédoubler, question de distanciation, c'est bête le grand frère y va l'après midi des jours pairs, il n'aura qu'à courir derrière le car, c'est plus prudent. J'ai même vu à la télé (donc ça doit être vrai), une séance d'entraînement avec un effectif restreint (des enfants de soignants) où on leur apprenait à ne pas toucher la rampe de l'escalier, là, ça confine au délire (confiner, c'est le mot qui tue, je ne l'avais pas fait exprès, c'est à la relecture que ça m'a sauté aux yeux). S'il y a bien une chose qui est utile dans un escalier, c'est la rampe (c'est pour s'y appuyer que ça a été inventé). C'est sûr, on peut faire sans rampe, mais c'est quand même un peu casse gueule, et si on y réfléchit bien, ça risque d'être contre productif, le gamin qui tombe et qui se casse un poignet aura évité le virus, mais pas l'immobilisation, il aura bonne mine avec son masque et son plâtre (en plastique) et peut-être sa dispense médicale d'école... C'est comme si on lui disait, tu peux faire du vélo, mais sans toucher le guidon (on adorait le faire, mais on n'était pas obligés). 
Pour les plus grands, qu'on soupçonne d'être un peu moins frivoles, ça ne me paraît pas gagné non plus. J'ai une longue, mais malheureusement fort ancienne expérience de l'encadrement d'enfants, j'ai certainement été incompétent et n'ai probablement pas su imposer une discipline convenable, mais je ne crois pas, cinquante ans après, qu'on puisse faire mieux et imposer convenablement et durablement la distanciation souhaitée. En tout cas, les enseignants, s'ils y parviennent, je leur tire mon chapeau, ils ont tout mon respect, je suis prêt à leur dire merci et à taper sur une casserole à 20 heures, ça fera stéréo avec le concert dédié aux soignants. 
Les plus blasés, dont je fais partie (c'est l'amortissement lié à l'âge sans doute, le désintérêt croissant pour les futilités) hausseront les épaules devant ce remue-ménage apparemment inutile. Le temps que les choses se mettent en place et s'apaisent, on va bien se retrouver mi-juin, en train de se remettre en configuration vacances d'été, à moins bien sûr qu'on ne reparle de jouer les prolongations. L'éventualité n'est pas exclue à ce jour, mais devant le peu d'enthousiasme elle ne devrait pas être retenue. 
Depuis l'appartement, j'ai l'incomparable avantage d'avoir vue sur une cour d'école. Je vais donc être aux premières loges pour évaluer l'application des consignes gouvernementales, mais surtout en particulier l'interprétation qui en résultera au niveau local. Les militaires font régulièrement des grandes manœuvres qui leur permettent de se remettre en adéquation avec le terrain. De la même manière, ce sont les enseignants qui vont essuyer les plâtres et essayer à grand'peine un dispositif conçu en haut lieu, avec un retour d'expérience qui va laisser, je le sens bien, sarcastique. Ils vont avoir fort à faire et, je l'ai déjà dit, mériter les coups de casseroles de 20 heures. 
Personnellement, le déconfinement, il ne me fait ni chaud ni froid. On m'a déjà expliqué que, surtout pas de ségrégation pour les vieux fragiles, le 11 mai (à quelle heure au fait?), je serai brutalement et intégralement déconfiné comme tout un chacun, un peu comme quand on vient au monde, tout nu et sans protection, mais que si je faisais tout comme quand j'étais confiné, ce ne serait pas plus mal, dans mon intérêt. En gros, pour simplifier, je ferai donc comme depuis le début du confinement, sauf que je n'aurai plus besoin d'attestation de déplacement dérogatoire (c'est bête, j'avais juste réussi à apprendre à me servir de l'application sur mon téléphone, avec les réservations d'avion j'ai encore des soucis, mais là, ça marchait bien, j'étais content, encore un petit plaisir au passage, je m'en referai une de temps en temps, inutile, rien que pour le fun, pourquoi s'en priver, c'est gratuit). 
Non, le vrai déconfinement, ce sera quand tu pourras boire un pot en terrasse avec des copains et te payer un gueuleton au restaurant sans que ce soit sous une cloche en polyméthacrylate de méthyle et que le serveur soit en combinaison intégrale comme pour un désamiantage, et sans que tu ne décèles dans son regard, derrière la visière et le masque, la peur panique de se faire contaminer. Mais ce n'est pas encore demain la veille, je n'ose même pas l'espérer pour le réveillon (de cette année!).

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