vendredi 19 juin 2020

Veille d'ascension : plages dynamiques (La Chronique de Charles)

Ce monde est rigolo, de plus en plus ! Mercredi dernier grand beau temps prévu, on est libres (enfin, si on peut dire), on a envie de sortir mais pas de voir trop de monde (pour ne pas se sentir obligés de porter le masque), envie de grands espaces, la mer c'est bien, Malo-les-Bains c'est autorisé (tu n'as pas beaucoup le choix à 100 km de la maison, la liste des plages, Belgique interdite, n'est pas très longue). Pas trop de circulation ni d'affluence prévues en cette veille d'Ascension, elle a tout pour plaire cette escapade marine (ou maritime, c'est comme tu le sens, littorale c'est plus modeste, mais ça marche aussi).

La digue de Malo, c'est un haut-lieu du tourisme balnéaire en Hauts de France paradoxalement situé au niveau de la mer, 6 km de promenade sur macadam si tu vas jusque Leffrinckoucke, de quoi marcher et respirer la brise de mer (hormis les premiers hectomètres qui embaument habituellement la friture, le kebab et la barbe à papa). Mercredi donc c'était un peu calme, on a pu se rendre compte sur place des judicieuses dispositions qu'a nécessité le respect des nombreuses consignes sanitaires en vigueur (on est en zone rouge, et ils nous autorisent la plage, tu ne voudrais pas, en plus, que ce soit un plaisir sans contrepartie !).

Ça doit donc être, et rester, un plaisir sérieusement encadré. Tu sens bien qu'ils y ont réfléchi longuement, à nos trajectoires de déambulation, qu'ils ont tout fait pour qu'on ne se rapproche pas les uns des autres. On pressent bien qu'il y a dans les marquages au sol une stratégie hautement élaborée, on sent bien le résultat d'un brain-storming par vidéo-conférence d'intellectuels à la fois en surchauffe et en télétravail : Il y a désormais un couloir dans chaque sens pour les piétons (avec des petits bonshommes et des flèches en peinture pour indiquer le sens de la marche), un autre dans chaque sens également pour les vélos (là aussi avec des petits vélos et des flèches, tu ne peux pas te tromper), pour les planches à roulettes, les rollers et les trottinettes ce n'est pas franchement tranché (je crois même avoir vu sur des panneaux d'information que c'est interdit, ou alors il ne faut pas se faire prendre). Tout le monde circule à droite, mais tu as le droit de doubler, et par dessus tout ça, les hauts-parleurs qui hurlent toutes les trois minutes un message de la Police Municipale qui te prévient que si tu mets ton cul sur le sable, c'est 135 €. On était à marée haute, il y avait largement de la place, mais j'ai vu des parents et des grands-parents tourner en rond et piétiner autour d'enfants qui faisaient des pâtés de sable et attendre qu'ils aient fini (fallait pas tomber dans le piège, un gamin que tu lâches sur le sable avec un seau et une pelle, tu devrais savoir que t'en as pour un moment, il y des vocations de bâtisseur qu'il ne faut pas contrarier). On a ainsi pu expérimenter le concept de plage dynamique.

C'est une plage dynamique qu'ils disent, tu n'as pas le droit de bronzer, enfin si, tu peux bronzer (ils ne peuvent pas t'en empêcher), mais bronzer debout, en marchant, à la réflexion, ce n'est embêtant que si tu as les seins qui tombent, ça ferait des zones inhomogènes plus pâles (de toute façon, c'est une plage familiale et pas « seins nus »). C'est une plage dynamique, ça veut dire que tu ne peux pas t'asseoir ni a fortiori t'allonger, mais c'est une plage dynamique où tu n'as pas le droit de l'être (dynamique, suis un peu !). Les activités sportives sont prohibées, les jeux de balle, de ballon, de raquettes, les frisbees (en belge discoplanes) sont strictement interdits, tu peux toutefois aller dans l'eau, c'est expressément autorisé, mais comme tu n'as pas le droit de poser ta serviette, soit tu te trouves un
chaouche pour la porter, soit tu te sèches au vent léger, tu peux même courir un peu pour te réchauffer, ça c'est permis.

J'ai vu qu'à la Grande Motte, autres lieux, autres mœurs, c'est zone verte, ils avaient procédé autrement, ils avaient quadrillé leur plage avec des piquets et du rubalise, tu t'inscris sur internet, c'est gratuit, ils te réservent un créneau horaire et une case, comme à la bataille navale, tu viens à l'heure dite (sinon tu perds ton tour), on te colle un bracelet de couleur comme à l'hôpital quand ils ne veulent pas que tu oublies ton nom, 90 minutes après, on te vire (la couleur du bracelet en vigueur a changé, on t'en prévient à coups de klaxon), il y a un itinéraire pour aller à l'eau, un autre différent pour revenir au lopin qui t'a été alloué. C'est peut-être mieux qu'à Malo, ce n'est pas vraiment une plage dynamique, tu peux t'allonger, pas longtemps, mais tu peux t'allonger. Ils sont favorisés là-bas, il n'y a pas de marées, les piquets et le rubalise restent en place d'un jour sur l'autre. D'un autre côté, à la Grande Motte, elle est interdite la nuit la plage, tu te demandes encore pourquoi, il n'y a pas beaucoup d'affluence à ces heures-là, il y a peut-être des études scientifiques qui précisent que le virus est plus dangereux (plus virulent ?) en fonction du nycthémère, va-t'en comprendre (mais ça ne me perturbe pas vraiment, c'est au delà des 100 km autorisés, et puis je n'ai jamais vraiment beaucoup aimé dormir sur la plage avec des copines trop romantiques, le sable dans tous les orifices, ça peut nuire à la sérénité du moment, mais c'est peut-être seulement parce que je suis un être délicat et sensible).

Mais ne rêvons pas ! On est zone rouge pour un moment, la carte est figée depuis le 7 mai (elle n'est pas dynamique, le dynamisme, ça marche pour les plages, pas pour les cartes). La carte est figée, elle était faite pour évoluer, pour nous rassurer sur l'amélioration de la situation sanitaire, pour être actualisée au jour le jour avec des index précis fiables sérieux objectifs indiscutables, et voilà qu'on devrait être verts ! C'est embêtant, c'est une question de communication, il n'y a que l'Île de France pour rester rouge. Déjà il y a une bisbille Paris-Marseille avec la chloroquine (mais ça existait déjà, avec le football), si on se met à faire un distinguo Paris-province qui manquerait de subtilité, on n'est pas sortis de l'auberge. Si on devait se fier aux index ! Pas question, il faudrait revoir la rentrée des classes, les élections, et pourquoi pas la réouverture des bistrots (j'ai hâte d'aller boire un coup de rouge dans un département vert, moi qui n'ai pas le doit de boire un verre dans un département rouge).

Du coup, ils sont en train de nous trouver de nouveaux index, plus précis, plus fiables, plus sérieux, plus objectifs que les anciens, beaucoup plus même. Pour le même prix, ils seront plus précoces et plus discriminants (discriminants, c'est bien ça fait sérieux, oui, discriminants, ils vont le garder), c'est dire leur intérêt par rapport aux anciens. Pour l'instant, pas d'affolement, ils sont encore à l'étude, ces index, car malheureusement, on ne peut pas les utiliser tels quels, ils ont encore un petit défaut, ils montrent que la Corse, entre autres, repasse à l'orange, et, pour des raisons sur lesquelles il vaut mieux ne pas s'étendre, il y a des susceptibilités qu'il vaut mieux éviter de froisser. Donc, tant qu'ils montreront que l'île de beauté est orange, ça ne peut pas être de bons indicateurs, mais on va bien finir par trouver, à ce moment-là, on aura droit à une carte dynamique, qui ne sera plus figée. En attendant, vous aurez tous droit à des plages dynamiques reposantes sur lesquelles vous n'aurez pas le droit de vous reposer.

Je vous le disais en préambule, ce monde est vraiment rigolo. Ou alors, mais
c'est sous toute réserve, c'est le virus qui a le sens de l'humour (en tout cas, mais je peux me tromper, ce n'est pas le bon Pr Salomon).

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