Escapade fiscale (pas évasion!)
S'il advenait, par hasard en ces temps de confinement, que l'ennui vous porte à la mélancolie, je vous conseille vivement de profiter d'un moment creux pour remplir vos obligations fiscales. En même temps, c'est obligatoire : attention, payer ses impôts est obligatoire, si on ne le fait pas, c'est sévèrement puni, déclarer ses revenus est également obligatoire,
mais l'absence de déclaration est beaucoup moins sévèrement réprimée, ne me demandez pas pourquoi, mais c'est comme ça.Pour moi, c'est fait, j'ai toujours tendance à reporter au lendemain, à procrastiner comme on dit maintenant, j'ai lu que c'était parfois un signe d'intelligence, j'ai au moins cette intelligence-là, mais j'en ai beaucoup il faut croire, si j'en juge par les délais que je m'accorde. Blague à part, je pense que c'est surtout traîner les pieds devant une corvée d'une part, et d'autre part une opposition vaine et irraisonnée à la notion même de l'impôt. Pour ce que j'en ai lu, le concept même de l'impôt régulier, annualisé, remonte à la guerre de cent ans. Avant, c'était en fonction du besoin, le côté systématique a tout de suite paru intéressant (à ceux qui le collectaient) et a donc été rapidement pérennisé.
Donc, cette opération que je ressens toujours douloureuse, je la réalise vite, comme le faisaient les arracheurs de dent et les chirurgiens quand on ne connaissait pas l'anesthésie. Cette année, je ne l'ai même pas vu passer : les services fiscaux sont d'une rare efficacité (au moins pour ce qui me concerne), déjà pour la transition vers le passage du prélèvement à la source, je craignais un peu les gags, un peu comme ce qui s'était passé pour l'an 2000, où on prévoyait un bug gigantesque (à l'époque c'était un mot nouveau), c'était tout juste si les avions n'allaient pas tomber du ciel, et puis non, tout s'est bien passé, c'est toujours une pilule amère, mais c'était la même que d'habitude. Bref, ça s'est passé tellement vite qu'après avoir relu et signé, je suis quand même retourné ensuite vérifier.
Non non, c'était correct, rien à corriger, juste un moment de méditation amère à propos de la Genèse (3.19) où le Seigneur, après l'épisode de la pomme, punit Adam « tu gagneras ton pain à la sueur de ton front ». Il a eu la main lourde le Seigneur, ce pain, Il n'avait probablement pas prévu que le fisc puisse s'y trancher d'aussi épaisses tartines ! Remarquez, Eve la finaude s'en tire mieux, Il lui a prédit (Genèse 3.16) « tu enfanteras dans la douleur et tu seras soumise à l'homme ». Depuis, l'accouchement sans douleur a fait son chemin, et la société matriarcale a de beaux jours devant elle, n'en déplaise à quelques uns dont je fais incorrigiblement partie, comme quoi, si on veut être pris au sérieux, il ne faut pas prononcer une peine sans s'assurer des moyens de la faire purger. Et puisque je ne veux même pas envisager l'idée qu'Il puisse s'être trompé, je ne peux que croire qu'Il est plein d'indulgence et de mansuétude, mais toutefois un peu plus pour elle que pour lui. Il aurait une petite préférence que ça ne m'étonnerait pas.
De l'indulgence et de la mansuétude, il m'en a fallu à moi aussi pour aider Brigitte à remplir la sienne, de déclaration. Il faut avouer que sur ce coup-là, elle n'a pas eu de chance, tous les pièges, elle les a eus, j'en suis témoin. D'abord, le site qui ne veut pas d'elle, sécurisation par téléphone, ça n'est pas plus compliqué que la banque, mais bon, les mots de passe sur un petit carnet, c'est plus sûr, on lui a bien expliqué au cours d'informatique, elle l'a bien noté, mais il faut le retrouver, bien le retranscrire, les ronds noirs à la place des caractères, c'est bien pour la confidentialité, mais tu ne vois pas ce que tu tapes, pour peu que ton doigt dérape,
tu n'as droit qu'à trois essais, bref, de quoi stresser avant même de commencer. On finit par ouvrir son espace personnel, pas de surprise, on ne voit pas bien pourquoi ils nous demandent de faire une déclaration, ils savent tout mieux que toi, le petit truc que tu aurais oublié, ils le savent déjà. Impeccable, on se prend à rêver, les comptes sont clairs, les sous du crédit d'impôt qu'ils t'ont avancés , ils te les redécomptent, logique, les calculs sont bons.
Ah oui, mais non, il reste deux sommes à inscrire, la première, ce sont les frais kilométriques de bénévole d'association caritative à inscrire dans la case WGZ5, ça on arrive à la retrouver, facile, même si elle se cachait insidieusement derrière une autre, qui ne s'ouvre uniquement que quand tu t'es marié une année bissextile avec une personne du même sexe. Facile dis-je, on est pas tombés dans le panneau. L'autre déduction à noter, ça a été plus sportif, la somme, il fallait la mettre dans la case XYG, mais de case XYG, il n'y en avait pas sur place. Le mode d'emploi de l'aide en ligne, se mordait bien un peu la queue, la case XYG, elle était dans le formulaire 3045, à télécharger ici, sous la flèche, manque de pot, le lien semblait ne pas marcher, et puis d'un seul coup, miracle, il nous a renvoyé vers une notice qui disait comme ça que le formulaire 3045 n'existait plus depuis 2012, et qu'on pouvait bien faire une déclaration papier, à adjoindre, je ne sais comment, à la télédéclaration, mais que de toute façon ça ne serait pas pris en compte (je vous jure que c'est vrai!). Notre perplexité s'est progressivement muée en anxiété, puis a évolué au fur et à mesure des tentatives stériles de retrouver le formulaire 3045 dématérialisé, vers une angoisse véritable. On était sur le point d'envoyer un mail d'appel au secours, il y avait même eu un numéro de téléphone qui nous était passé sous les yeux, on ne l'avait pas noté, trop sûrs de nous, on était sur le point de pleurer, attention l'eau salée, ce n'est pas bon pour les claviers d'ordinateur.
C'est quand même beau, l'informatique, il y a des virus, des bugs, des pannes, des plantages, il y quand même des fois où ça marche : ne me demandez pas comment ça s'est fait, on l'a retrouvée sous notre nez, la case XYG, on s'est dépêchés d'y inscrire la bonne somme (d'abord, la case XYG, elle n'en voulait pas de cette somme, mais ce n'était pas de la mauvaise volonté de sa part, c'est simplement qu'elle ne voulait pas les centimes). On n'y croyait qu'à moitié, mais non, le récapitulatif nous l'a confirmé, tout était bien enregistré.
Méfiante, il a fallu faire preuve de persuasion et la convaincre de valider ses coordonnées bancaires (le hacker qui va la berner n'est pas encore né!). La signature n'a plus été qu'un jeu d'enfant.
Tout compte fait, ça ne nous aura pris qu'une bonne demi-journée, par la force des choses, je me suis fait gourmander copieusement pour cette injustice flagrante (ça avait été trop facile pour moi !). Je n'en jurerais pas, mais je suis à peu près certain que les ordinateurs de l'administration fiscale ont le sens de l'humour, même si c'est à mes dépens.
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