vendredi 31 juillet 2020

Chronique de Charles d'il y a qqs semaines : Au secours

Confiné, je veux bien, mais pas ça ! Je veux bien prolonger le confinement, mais à une condition, c'est qu'on déconfine Brigitte, et au plus vite. Pas d'atermoiements, ça devient intenable à la maison. Non, non, elle n'est pas fragile, seulement hyperactive. Il faut la déconfiner très vite, même un peu avant les autres si possible. Elle a beaucoup de qualités, énormément de qualités, paradoxalement peut-être trop de qualités. La période présente, malheureusement, les exacerbe. Elle a, entre autres, et c'est assurément une qualité, une propension à la propreté.

Elle attendait Pâques avec impatience, elle est croyante, même pas spécialement dévote, pas du tout bigote, mais ça l'a quand même chagrinée un peu ce confinement, la messe du pape tout seul à la télé, la bénédiction urbi et orbi presque clandestine. La recherche des œufs, maintenant que les petits-enfants ne sont plus petits, en tout cas plus d'un âge à aller les chercher en s'émerveillant, n'éveille plus chez elle de nostalgies excessives. Mais pour elle, « faire ses Pâques », c'est aussi la tradition médiévale du grand nettoyage de printemps, des rassemblements au lavoir pour la lessive accumulée pendant l'hiver, des fenêtres qu'on ouvre à double battant pour aérer et laisser rentrer le soleil de retour. Déjà rigoureuse en temps ordinaire sur l'hygiène et la propreté, notre claustration lui permet de donner libre cours à sa passion du dépoussiérage, du récurage, du lessivage, de l'astiquage, tout y passe, même des recoins qui n'y auraient pas pensé eux mêmes, et s'ils se sentent soulagés d'avoir été par mégarde oubliés, qu'ils se méfient, un deuxième, voire un troisième passage est possible, peut-être même par surprise. Les tiroirs réinventoriés dont le contenu trié est remis dans ses plis s'en souviennent encore, les fonds de placard qui pensaient être tranquilles et hébergeaient quelques traces infimes de poussière ont subi des coups de plumeau vengeurs et imparables. L'aspirateur-traîneau, à plein rendement, à surchauffé et a failli rendre l'âme, il a supplié d'arrêter de le soumettre à une torture comparable à celle du tonneau des Danaïdes, devoir aspirer sans fin une poussière qui n'existe plus. Même l'aspirateur-robot s'est plié à ses injonctions. Tu pourrais penser que cet automate obéit à Google, que la domotique a son mot à dire à la maison, non, non, la frénésie du nettoyage de Brigitte l'a asservi, il n'ose même plus retourner se brancher à sa base, il a trop peur, il a beau signaler que sa batterie est vide, que son sac est plein (le menteur, de quoi serait-il plein, je vous le demande), elle vérifie impitoyablement et le remet sur ses trajectoires sempiternellement propres. Les vitres ont été nettoyées en grand, il a plu un peu la semaine passée, ça lui a procuré l'ineffable joie de le refaire. J'ai même dû, sans grand succès dès que j'ai le dos tourné, lui interdire de se pencher autant au dehors, oui parce que les vitres, ce n'est pas pour rire, c'est intérieur et extérieur, et pour l'extérieur, il faut se pencher. A la cuisine, on pourrait manger (c'est une expression!) dans une poubelle propre où les déchets ne font que transiter quelques secondes. La hotte voit ses filtres nettoyés et dégraissés avec une périodicité qui dépasse l'entendement. Rien ne trouve grâce à ses yeux, rien n'est oublié, ni les encadrements de tableaux, ni les joints de carrelage, encore moins les raccords de plinthes. La cave, propre comme une salle d'opérations a été dépoussiérée de fond en comble. Même nos vieilles bouteilles ont eu droit, ô sacrilège, au plumeau dévastateur. Le garage aussi, qui ne demandait rien à personne et pensait s'en tirer à bon compte, a eu droit à ses assauts. Il s'y était risqué quelques araignées qui ont compris immédiatement leur malheur.

J'ai moi-même beaucoup d'amour-propre, un amour-propre qui me permettait de faire bonne figure, de résister à quelque tempête, sans indulgence particulière, à coups de torchon, il a été remis à neuf rudement, quasiment manu militari. J'essaie de vivre cet état de fait avec compréhension, j'accepte l'idée que cette frénésie est pour elle une façon de se calmer les angoisses en cette période de peur irraisonnée. Je me dis, sans vouloir me moquer de sa famille, dont je pense le plus grand bien par ailleurs, qu'il doit y avoir eu, dans ses aïeux lointains, du temps des croisades, quelqu'un qui ressemblait à un raton-laveur, sinon comment expliquer cela?

Le geste barrière, lavez-vous les mains, est devenu chez elle lavez-vous souvent les mains, puis ensuite lavez-vous très souvent les mains. C'est bien simple, sur le palier, lors de la promenade (hygiénique elle aussi) à laquelle elle m'astreint, j'ai rencontré un petit personnage qui pleurait, un malheureux petit, qui m'a avoué, entre deux sanglots, qu'il avait été malheureusement tiré au sort par ses camarades (ils la connaissent de réputation), envoyé en mission-suicide pour nous infecter, et qu'il ne voyait pas comment faire, en échec, il allait se faire fusiller au retour...Il m'a presque fait pitié, j'ai failli me laisser attendrir...Saloperie de virus !

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