jeudi 2 juillet 2020

Y'a pas si longtemps : Déconfinement lent (La Chronique de Charles)

Ce monde est rigolo ! Pendant presque deux mois d'un confinement strict, beaucoup ont rêvé de ce qu'ils feraient le jour du déconfinement. Il y en avait évidemment pour penser aux aspects pratiques, utilitaires dirais-je même (le genre raccord de teinture pour des racines trop voyantes, ou coupe de cheveux exubérants), mais aussi certains autres pour évoquer des projets plus proches du fantasme (courir les soldes par exemple, ou boire un pot en terrasse).

Et puis voilà que ce déconfinement nous tombe dessus, nous prend par surprise (on y croyait tellement peu, avec leurs cartes à s'emmêler les couleurs). Nous en sommes tellement sidérés que nous nous comportons comme des ours au printemps, au sortir de l'hibernation : on peut sortir quand on veut, sans papier daté signé, mais en définitive on ne sort pas. Moi qui pensais voir les commerces envahis, qui craignais l'affluence et la cohue, je trouve les rues presque aussi vides que pendant le confinement.

Nous sommes conditionnés, et on s'aperçoit que ce conditionnement opérant (j'ai fait un peu de psycho-physiologie, ne craignez rien, ce n'est pas contagieux, et je n'ai pas gardé de séquelles) ce conditionnement opérant donc peut se faire en peu de temps : un peu de claustration dans un environnement familier (rien de vraiment excessif, une heure autorisée de promenade hygiénique par jour), les moyens d'information habituels permis, pas de régime diététique particulier. Rien donc apparemment de particulièrement contraignant ni coercitif (ce n'était pas Guantanamo !), sauf qu'on nous a coupés du lien social, pas vraiment dans l'absolu (il y a encore le téléphone et Skype, mais ce n'est pas tout à fait la relation de « vive voix »). Mais on constate qu'en moins de six semaines de ce régime, au prix il est vrai d'un matraquage théâtral permanent subtilement orchestré dont on ne peut pas vraiment penser qu'il est volontaire (on a toujours pu échapper à l'info, on a toujours pu « fermer le poste »), on constate dis-je que nous sommes sous influence, d'aucuns parlent de psychose, je préfère utiliser le terme d'hypnose : nous sommes libres, mais nous ne échappons pas, comme la proie fascinée par le serpent. Nous somme libres, mais nous limitons ces sorties qui provoquent un léger vertige, une euphorie discrète, une espèces d'ivresse, pourtant la composition de l'air n'a pas changé, mais il semble presque que ce n'est pas le même air...

Beaucoup d'activités commerciales on repris, mais la crainte est toujours présente, bien ancrée désormais. L'ambiance n'y est pas vraiment. Les marquages au sol, les cagoules et écrans de plexiglas ne rendent pas les choses plus faciles. Ils sont anxiogènes dans un sens et traduisent l'anxiété dans l'autre. On n'ose inviter des amis, on n'ose les rencontrer chez eux, de peur d'être à la fois contaminant ou contaminé. Il va falloir réapprendre les contacts sociaux (j'ai failli écrire humains !).

L'école aussi a repris, enfin il faut le dire vite, si j'en juge par la cour de récréation que je surplombe de mon balcon. J'y vois plus d'encadrants que d'élèves, qui jouent sans enthousiasme en ordre dispersé (ils ont l'ordre de se disperser !), c'est sûr qu'ils ne risquent pas de bavarder dans les rangs, quand ils rentrent en classe en file indienne pour se laver les mains.

S'il fallait un autre témoin des effets de ce lavage de cerveau, il n'y aurait qu'à observer l'assiduité avec laquelle on reste scotché aux informations de progression/régression de la pandémie. Il n'y a plus de nouvelles du front (le point de presse régulier du bon Pr Salomon), mais on reste attaché aux chiffres qu'on
recherche par ailleurs, on reste addict à ces statistiques, et attentif à l'émergence des nouveaux clusters (cluster, ça fait plus informé, plus branché et plus scientifique, plus épidémiologique que de dire foyers, foyer épidémique c'est trop simple, pas assez hexagonal, pour tout dire, ça fait un peu province). Mais ça ne me gêne pas de passer pour un péquenaud en disant foyer, surtout à côté des cons pompeux qui parlent de pandémie mondiale pour faire remarquer à quelle point elle est importante (ce sont les mêmes qui parlent de panacée universelle...)

Tout le reste a peu d'importance (à nos yeux, et donc aussi à ceux de ceux qui se targuent de nous informer). Il n'y a plus de guerres (si seulement c'était vrai!), le conflit USA Chine nous passe largement au dessus de la tête, sauf qu'on surveille pour savoir qui va nous filer le vaccin en priorité (si t'as des sous, t'auras pas de problème, tu sera bien classé, et à condition de ne pas oublier de commander, avec le chèque qui va bien, comme avec les masques). Les élections municipales, ça n'intéresse pas grand'monde, le deuxième tour, c'est juste pour ceux qui sont sur la sellette, ceux qui sont élus sans être en place ne savent sur quel pied danser, mais on s'en fout un peu, le fait démocratique ne nous préoccupe pas trop en ce moment, s'il y en a que ça fait tousser, on a tendance à penser que ce n'est pas grave, tant que ce n'est pas le Covid-19 qui les fait tousser.

Pour les retraites, on n'entend plus parler de rien, mais je suis sûr qu'il y en a, dans l'ombre des cabinets ministériels, qui font cyniquement des calculs savants et se frottent probablement les mains : avec ce virus qui tue de préférence les vieux, c'est cruel à dire, peut-être que le système des retraites, tout compte fait, est redevenu bénéficiaire. Il n'y a peut-être déjà plus besoin de réforme.

Pour les soignants, là quand même on en parle un peu, on reste intéressé, même si on tape un peu moins sur des casseroles. Personnellement impliqué depuis toujours, j'entends dans la bouche de gens raisonnables des critiques désormais audibles sur le système de santé français, le meilleur du monde certes, mais empêtré dans un carcan administratif dénoncé aujourd'hui, enfin, à grands cris. Avec le recul, je me rends compte qu'à l'époque, j'ai bien fait de râler, même si ça n'a servi à rien.

Tout compte fait, ce confinement dont on sort à grand'peine, c'est une véritable expérimentation de laboratoire,à laquelle nous avons été soumis, épreuve dont nous remettrons j'en suis sûr, mais peut-être pas aussi rapidement que je le supposais.

On entre donc dans le monde d'après, j'y ai fait les courses ce matin, dans ce monde d'après, pas sûr que ce soit mieux que le monde d'avant : ils ont tout réorganisé le parking, déjà avant, si je ne prenais pas garde, je me perdais, maintenant, même en faisant attention tu finis en marche arrière dans un cul de sac. Pour les caddies, tu as un sens de circulation, si tu as oublié la moutarde, tu refais un tour de magasin, c'est là que la grande surface, tu t'aperçois qu'elle est vraiment grande. Pour passer à la caisse, tu passes par celle d'à côté (si, si, je le jure), ton pack d'eau, comme tu ne le mets pas sur le tapis, c'est la caissière avec sa douchette laser qui sort de son bunker en plexiglas qui vient vers toi, presque trop près, j'ai eu peur, et pour la galerie marchande, à cause du sens unique, tu te retapes tout le magasin, et ensuite tout l'extérieur (il aurait pu pleuvoir sur le caddy surchargé, heureusement, il faisait beau), puisque ta voiture est de l'autre côté (évidemment, tu l'as posée au plus près de l'entrée en arrivant, mais la sortie est de l'autre côté, comprends-tu ?).

Tout cet excès de précautions mal comprises et mal appliquées m'énerve un peu. Ça n'aura qu'un temps, mais je suis impatient que cette page tourne. Ce déconfinement lent, vivement qu'il accélère !

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