lundi 27 juillet 2020

Chronique récente de Charles : Ostracisme

La définition est claire : Procédure en usage au 5ème siècle avant J.-C., à Athènes, permettant de bannir pour dix ans les citoyens dont on craignait la puissance ou l'ambition politique. On peut encore réfléchir et philosopher à l'infini sur cette mesure politique pleine de sagesse et de pondération.

De façon moins historique, l'ostracisme, c'est l'action de tenir quelqu'un qui ne plaît pas à l'écart d'un groupe, d'une société, d'une manière discriminatoire et injuste. Pour ce qui nous concerne, nous, les vieux, puisque c'est de cela dont il est question aujourd'hui, la définition peut être un peu dévoyée : ce n'est pas parce qu'on ne plaît pas, c'est parce qu'ils nous aiment trop. On va être ostracisés pour être protégés, maternés, cocoonés. J'aime bien l'idée qu'on m'aime (en fait, je le mérite), mais je veux que ce soit dans la délicatesse, léger, aérien. En tout cas pas pesant comme ce qu'ils veulent nous imposer pour notre bien. Quelqu'un qui veut mon bien de façon aussi agressive, je me méfie, je me hérisse. Au mieux, c'est un maladroit, un balourd, au pire c'est un malhonnête, un tartuffe.

Cette réaction un peu vive, ça doit me venir de l'enfance, de quand j'étais louveteau et que j'aidais, pour leur bien, au prétexte de la B.A. quotidienne, des vieilles dames à traverser la rue alors qu'elles n'en avaient pas toujours forcément envie. Tout ça pour dire que l'idée d'être confiné pour mon bien m'est insupportable.

Après tout, s'ils veulent me protéger correctement, ils n'ont qu'à se confiner eux-mêmes. C'est vrai ça, s'ils sont aussi soucieux de mon bien-être, s'ils ont peur pour ma santé, pour ma vie, autant qu'ils le prétendent, s'ils veulent m'éviter le stress psychologique du confinement qui me désocialiserait trop, à leurs dires, après tout, qu'ils me laissent un espace de liberté exempt de tout risque sanitaire. Je suis prêt à partager (tout le monde a le droit de vivre!), il suffit de partager le temps plutôt que l'espace. Faites le calcul : il y a 68 millions de français dont 18 de fragiles, à ce qu'il paraît, c'est à dire un bon quart. Une semaine comptant 14 demi- journées, un bon quart ça ferait, en toute bonne justice pour les fragiles 3,5 demi- journées de liberté. On n'est pas drôles, on ne chipote pas, on se contentera du dimanche et du samedi après-midi déconfiné, en liberté. De toute façon, les normaux, les pas fragiles, les trois quarts du temps restant, ils sortiront la semaine pour aller bosser, et les gamins pour aller à l'école. Ils se confineront le week-end et on n'en parlera plus. En plus, je suis sûr que ça les rassurera de nous savoir en sécurité...

Une autre option, plus réaliste, et déjà pratiquée de façon intensive, mais pas encore généralisée, serait un système pratiqué depuis fort longtemps (le 12ème siècle), et qui se développe de façon importante de nos jours, et dans notre pays et chez nos voisins, c'est le béguinage. C'est une autre forme de confinement, vous me direz, mais nos maisons de retraite en sont déjà une forme apparentée, on n'a rien inventé, comme quoi on s'est déjà un peu fait au concept... On pourrait ainsi prévoir des endroits réservés, des quartiers entiers regroupant tous ces vieux, ces fragiles (toujours pour les protéger), le défaut est que ça porte un nom vénitien de triste mémoire, le ghetto.

Alors non, je ne veux pas être protégé ! Je ne suis pas un casse-cou irresponsable, je ne suis pas un trompe-la-mort étourdi, je ne revendique pas de vivre dangereusement, mais il y a des limites. Je ne suis pas un affreux vieillard réactionnaire, je suis favorable à une prévention raisonnée (à la vaccination par exemple, mais pas de bol, il n'y en a pas), mais je suis excédé par cette société frileuse et devenue excessivement précautionneuse pour mon bien. S'ils veulent absolument protéger des gens, qu'ils interdisent l'usage du tabac, et qu'ils (ré)instaurent une prohibition pour l'alcool (dans le passé, ça s'est déjà fait ailleurs sans grand succès!). Là aussi, il y a de la santé et de la vie à protéger en pagaille, on n'en fait pas le compte tous les soirs, mais il y aurait de quoi faire.

Je ne veux pas être protégé ! Si ça continue, on va m'empêcher de faire du vélo (c'est dangereux le vélo, si on y réfléchit bien, c'est une chute permanente qu'on cherche à éviter, un équilibre instable que l'on cherche à restaurer). On va peut-être un jour me demander d'y remettre les petites roulettes à mon vélo, à moins qu'ils ne m'interdisent carrément de pratiquer : Doucement pépé, c'est pas bon pour ton cœur, c'est pas bon pour ton souffle, c'est pas bon pour tes os, imagine si tu te casses quelque chose...

Je ne veux pas être déresponsabilisé, je veux penser tout seul. Je ne veux pas qu'on décide pour moi, je ne suis pas anarchiste, je me plie facilement et civiquement aux exigences du bien commun, je ne fais pas bande à part, mais je ne veux surtout pas qu'on me mette à part. Bientôt, si je me laisse faire, ils vont voter pour moi, pour mon bien, pour éviter que je prenne le risque de m'exposer dans les bureaux de vote. Pour un peu, ils me diraient à quelle heure je dois aller dormir et de ne pas regarder des images un peu violentes à la télé. On va où là ? Vers un système qui évoqurait la Russie soviétique et la Chine ?

Bon ce n'est pas tout ça, il faut que j'aille à la recherche d'un masque... Ce n'est pas parce qu'on est ostracisé qu'on ne doit pas prendre de précaution. Manquerait plus que je l'attrape, cette saloperie.

synonymes exclusion quarantaine

1 commentaire:

  1. Merci Charles, Bien d'accord ça n'est pas nous qu'il faut confiner mais ceux qui, au nom de la liberté, veulent faire la fête, s'éclater sans aucune protection,vivre comme si de rien n'était, inconscients et irresponsables!
    NMH

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